Au beau milieu d’un tournage Paul, le réalisateur, a une relation avec Alina, une actrice qui interprète un second rôle. Il décide de réécrire le scénario pour y ajouter une scène de nue avec elle. Pris de doutes, il choisit au final de ne pas la tourner et téléphone à sa productrice pour se plaindre d’un ulcère à l’estomac…
Avec : Diana Avramut Alina • Bogdan Dumitrache Paul • Mihaela Sirbu Magda, la productrice • Alexandru Papadopol Laur l’ami réalisateur • Alexandru Jitea Le docteur • Gabriela Cretan La maquilleuse • Lucian Iftime Le réceptionniste
Réalisation et scénario Corneliu Porumboiu • Production Les films du Worso – Sylvie Pialat, 42km Film – Marcela Ursu • Image Tudor Mircea • Montage Dana Bunescu • Direction artistique Mihaela Poenaru • Costumes Monica Florescu • Son Thierry Delor, Alexandru Dragomir, Sebastian Zsemlye
Corneliu Porumboiu
Né en 1975 à Vaslui en Roumanie, Corneliu Porumboiu étudie la réalisation à La National University of Drama and Film de Bucarest. Son deuxième court métrage, Un voyage à la ville (2003) reçoit en 2004 le Prix du Meilleur court métrage au Festival Méditerranéen de Montpellier. Son moyen métrage, Le Rêve de Liviu, réalisé également en 2003, a été présenté au Festival du Film de Telluride dans la catégorie « Grands Espoirs ». Puis, en 2005, Porumboiu intègre la Résidence du Festival de Cannes, et en 2006 il réalise 12h08 à l’est de Bucarest. Sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs, le film gagne la Caméra d’Or, et sera récompensé dans plus de vingt festivals dans le monde. Il enchaine avec Policier, adjectif, sélectionné dans la section Un Certain Regard à Cannes où il remporte le Prix du Jury, puis Métabolisme ou quand le soir tombe sur Bucarest, son troisième long métrage.
Filmographie
2002 : Autant en emporte le vin [cm]
2003 : Un voyage à la ville [cm]
2004 : Le Rêve de Liviu [cm]
2006 : 12 h 08 à l’est de Bucarest
2009 : Police, Adjectif
2013 : Métabolisme ou quand le soir tombe sur Bucarest
ENTRETIEN AVEC CORNELIU PORUMBOIU
Quel est le point de départ de votre film ?
A l’époque de l’écriture du scénario, il y avait un projet de loi en
Roumanie qui devait changer le fonctionnement du cinéma : pour obtenir
une aide, il était question de présenter non pas un scénario, mais un
découpage précis. J’étais contre cette loi, mais elle m’a rappelé mon
apprentissage de cinéaste. On devait tourner avec un métrage de
pellicule limité. Le découpage et la durée de chaque plan étaient donc
très importants. Du fait de ces restrictions, j’ai développé ce goût
pour les répétitions et les plans séquences. Et j’avais envie de parler
de la naissance d’un film et de ses contraintes.
Ce film est-il nourri d’expériences personnelles ?
Disons, des cauchemars des autres. J’ai un ami réalisateur qui a mis
tout son argent dans son film, commencé il y a dix ans, et qui s’est
arrêté à la moitié du tournage. L’idée d’un tournage qui ne se
terminerait jamais m’inspirait… Et finalement, j’ai eu surtout l’envie
de retourner la caméra sur le métier de réalisateur, de donner à voir un
travail, une méthode et un projet en train de se réaliser. Regarder
l’envers du décor.
Qu’est-ce qui vous a intrigué particulièrement dans le sujet d’un cinéaste en crise ?
Paul, le réalisateur, trimballe une peur, peut-être irrationnelle,
d’une maladie cachée. Cela se traduit par cet ulcère, qui devient une
véritable obsession. Il ne cherche plus vraiment le contact avec les
autres. Mais, au contraire, il se replie sur lui même, il veut
absolument prouver l’existence de sa maladie. Il y a cette endoscopie
qui nous donne à voir des images intérieures très personnelles et
intimes. À l’opposé du « grand » film politique qu’il est en train de
tourner.
Ce réalisateur incarne-t-il votre idée d’un cinéma réaliste ?
Il est obnubilé par le désir d’être objectif dans son travail. Comme
disait Stendhal dans sa théorie sur le roman réaliste : « Un roman est
un miroir qui se promène sur une grande route. Tantôt il reflète à vos
yeux l’azur des cieux, tantôt la fange des bourbiers de la route. »
Est-ce un film sur l’indécision ?
Oui. J’aime travailler sur ce temps-là, sur ce trou dans le temps… Mes
films ne révèlent pas grande chose de spectaculaire, mais j’aime montrer
ces petits instants de la vie qui, finalement, la transforment un peu.
Avec Métabolisme, j’ai décidé de me plonger directement dans le
milieu d’un tournage comme dans un micro-organisme. Lefilm avance sur
des détails, des réflexions… Quelque chose, chez ce réalisateur, s’est
brisé. Peut-être sa confiance, ou sa conviction. On comprend également
qu’il est tiraillé tout le temps : entre son film et sa relation avec
l’actrice, entre son ambition d’un certain cinéma et sa vie réelle,
entre de la nourriture orientale et occidentale. Mon film reflète l’état
schizophrène d’un réalisateur qui devient fou, mais dont les actions,
les doutes disent quelque chose sur un ensemble: son corps, sa vie, sa
ville.
Vous refusez encore une fois de raconter un récit de manière classique.
J’ai décidé de raconter une histoire assez abstraite. Mais j’aime son
côté tragi-comique aussi. Quand on est animé par des grandes
ambitions,il est important de comprendre le côté dérisoire, finalement,
d’un tournage. Montrer les coulisses et les temps « morts », suspendus,
m’a semblé plus important encore que de raconter une véritable histoire.
Je pense que tous mes films parlent de cet état d’entredeux. Dans 12h08 à l’est de Bucarest les personnages sont entre leur passé et leur présent. Dans Policier, adjectif, le personnage se trouve entre sa carrière, la loi qu’il est censé appliquer et ses propres convictions et désirs.
Comment travaillez-vous votre rapport au réel ?
Ce sont les longs dialogues dans mes films qui installent une sorte de
tension. Mais je n’aime pas le principe d’un certain cinéma qui repose
sur des personnages exceptionnels dans une situation exceptionnelle.
Dans tous mes films, je raconte des histoires de situations
intermédiaires. Mes films jouent avec cette frustration. Dans mon
avant-dernier film, Policier, adjectif, on attend un certain dénouement
comme dans un polar, mais ça se termine par une discussion et non pas
par une action.
Comment avez-vous trouvé l’acteur qui incarne Paul, le réalisateur, et qui est votre alter ego en quelque sorte ?
Je connais Bogdan Dumitrache depuis 10 ans, car il a réalisé le casting
de plusieurs de mes films. Au départ, j’avais écrit un scénario pour
quelqu’un qui me ressemblait trop. Heureusement, Bogdan m’a apporté
autre chose : une mobilité, une fragilité et cette dissolution entre
l’esprit et le corps qui caractérise tellement son personnage.
Et l’actrice qui incarne Alina ?
Diana Avrãmut vient du théâtre. Après un long casting, sa façon de
maitriser le texte et un langage du corps très précis m’ont convaincu.
C’est son tout premier long métrage, à l’instar de son personnage, du
coup sa façon de chercher constamment l’approbation de son réalisateur
sonnait juste.
Comment avez-vous dirigé les acteurs ?
Pour ce film, j’ai essayé de changer un peu de méthode. Avant, je leur
demandais de suivre très précisément mes dialogues, leur écriture. Là,
j’ai essayé d’être plus libre avec eux : on a beaucoup répété et j’ai
réécrit souvent le scénario. J’attendais beaucoup d’eux.
Comment expliquez-vous le titre de votre film ?
Le mot « Métabolisme » évoque un corps, une existence physique. La
phrase « Quand le soir tombe sur Bucarest » décrit pour moi cette
sensation d’être toujours dans un état intermédiaire, de
recherche.Toutefois, aucune image dans le film n’illustre ce titre.
Pourquoi filmez-vous exclusivement en plans séquences ?
Je veux montrer les relations entre les corps et ne pas me focaliser
uniquement sur les dialogues. Je veux m’approcher du temps réel. Ils me
permettent aussi de prendre une certaine distance et de travailler sur
quelque chose de brut.
Dans le film l’actrice résiste aux indications du réalisateur
et cherche un sens à ses choix… Êtes-vous un réalisateur patient ?
Un metteur en scène ne peut jamais dire à son acteur qu’il peut aller où il veut – c’est impossible. Mais dans Métabolisme, ça devient possible car cette relation dépasse les limites !
Lorsqu’on pense « film sur le tournage d’un film », Truffaut, Fellini, Godard viennent immédiatement en tête…
C’est plutôt l’univers du cinéma de Hong Sang-soo qui m’a influencé sur ce film. Même si j’ai été aussi inspiré par Le Mépris de Godard, en particulier les scènes entre Brigitte Bardot et Michel Piccoli dans l’appartement, et surtout Ed Wood de Tim Burton : il montre si bien la passion et l’absurdité de faire des films !
Votre réalisateur ne semble vivre que pour son travail. Etes-vous comme lui ?
Avant, j’étais un bourreau de travail. Pendant le tournage de mon
premier film, je ne crois pas avoir souri une seule fois. J’aborde les
choses avec plus de légèreté maintenant. J’aime travailler avec
intensité, mais j’ai compris aussi qu’il y a des choses plus importantes
dans la vie que le cinéma.
Entretien par Marcus Rothe