Film soutenu

Le serment de Pamfir

Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk

Distribution : Condor Films

Date de sortie : 02/11/2022

Ukraine, France, Pologne, Chili- 2022 - 1h42

Dans une région rurale aux confins de l’Ukraine, Pamfir, véritable force de la nature, retrouve femme et enfant après de longs mois d’absence. Lorsque son fils se trouve mêlé à un incendie criminel, Pamfir se voit contraint de réparer le préjudice. Mais devant les sommes en jeu, il n’a d’autre choix que de renouer avec son passé trouble. Au risque de tout perdre.

Quinzaine des réalisateurs – Cannes 2022

Avec : Oleksandr Yatsentyuk (Leonid/Pamfir) • Stanislav Potiak (Nazar) • Solomiya Kyrylova (Olena) • Olena Khokhlatkina (Mère) • Myroslav Makoviychuk (Père) • Ivan Sharan (Victor)

Scénario Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk • Photographie Nikita Kuzmenko • Son Serhiy Stepanskyy, Matthieu Deniau • Décors Ivan Mykhailov • Montage Nikodem Chabior • Musique Laëtitia Pansanel-Garric

Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk

Réalisateur et scénariste ukrainien, est diplômé de l’Université de Kyiv et a participé à la Berlinale Talents, et à la Locarno Film Academy. Il est est également le fondateur de la plateforme de développement ukrainienne Terrarium. En 2018, il s’est distingué avec son court métrage Weighlifter, sélectionné à l’EFA et Grand Prix du Festival Premiers plans d’Angers. Son premier long métrage a été soutenu par la Cinéfondation de Cannes, leTorinoFilmLab et Midpoint.

FILMOGRAPHIE
2022 Le serment de Pamfir
Quinzaine des Réalisateurs – Cannes 2022
2018 Weightlifter [cm]
2015 Intersection [cm]
2013 Krasna Malanka [cm], [doc]
2012 The Beard [cm]
2008 Adolescence [cm]

ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR

Comment est né Le serment de Pamfir ?
Le scénario de Le serment de Pamfir est l’aboutissement d’une évolution dans mon parcours. Mon film de fin d’études, Krasna Malanka, s’attachait à ceux qui préparaient le carnaval de Malanka. Par la suite, j’ai réalisé en coproduction avec la Roumanie un court-métrage documentaire, Intersection. Ces deux films ont été tournés dans une zone frontalière méconnue, entre l’Ukraine et la Roumanie. Beaucoup de choses y demeurent « hors normes », en particulier la pratique de la contrebande, sur laquelle j’ai recueilli de nombreux témoignages hors champ, au cours des conversations avec des hommes jeunes et moins jeunes qui ont basculé dans le trafic. À travers l’histoire de Pamfir, je voulais au départ aborder la question de l’émigration ukrainienne et du gouffre qui sépare l’Ukraine et l’Union Européenne. Parallèlement, je souhaitais raconter l’histoire d’un homme ordinaire poussé au désespoir, qui, en tentant de préserver son monde idéal, transgresse tout un ensemble de règles morales et de lois. Et qui, au prix de sa vie, offre un avenir meilleur à son fils. C’est donc l’histoire d’un homme honnête qui devient une bête, mais aussi une histoire d’amour, tendre et cruelle à la fois.

Peut-on comparer votre film à une tragédie grecque transposée dans le contexte ukrainien ?
Par son genre, Le serment de Pamfir est un drame, où le mythe biblique d’Abraham se rejoue selon les codes de la tragédie grecque sur fond du fameux carnaval ukrainien de Malanka. Il y a six personnages principaux dans le film dont Pamfir est la figure centrale. C’est lui qui déclenche les événements en chaîne. L’histoire se concentre en premier lieu sur les rapports au sein de la famille de Pamfir notamment sa relation avec sa femme Olena et son fils Nazar, ainsi que sa mère et son frère Viktor. Mais c’est avant tout de son conflit avec son père dont il est question. Comme dans une intrigue policière, chaque scène nous en apprend davantage sur les raisons de ce conflit et déroule l’enchevêtrement des rapports familiaux. La toile de fond des événements reste le trafic de contrebande, l’univers du village et le carnaval de Malanka. Pour moi, reproduire à l’écran une réalité singulière est d’une importance capitale. Ma mission, en tant que réalisateur, consiste à concevoir un film axé sur l’action, avec un minimum de dialogues, reposant sur une histoire universelle, accessible et émouvante pour tous les spectatrices et spectateurs. Il s’agit d’incarner la psychologie de personnages complexes et multiples, dont les décisions et les situations sont paradoxales.

Pouvez-vous nous parler de la Malanka ? Pourquoi avez-vous choisi de l’évoquer dans le film ?
La Malanka est une fête traditionnelle ukrainienne. On l’appelle aussi carnaval ou bacchanale. C’est une fête ancestrale qui remonte à la culture carnavalesque chère à Rabelais. Chaque participant porte un masque bien spécifique et endosse un rôle social différent. Dans l’ouest de l’Ukraine, on fête la Malanka toute la nuit du 13 au 14 janvier. Dans certains villages, la Malanka est l’un des personnages du carnaval ou le carnaval lui-même. Elle s’invite dans chaque maison du village. Les habitants jouent une scène ou entonnent des chants. Ils boivent, déambulent dans les rues du village, dansent. C’est ensuite par une fête ou un combat spectaculaire sur scène que se clôturent ces festivités. Dans la plupart des villages, l’année est rythmée par la fête de la Malanka, davantage que par le Nouvel An ou Noël. On s’y prépare pendant très longtemps. Chacun choisit un costume en fonction de sa conception de l’événement. C’est en cela que je trouve ce phénomène intéressant car chacun choisit un costume qui traduit la vision qu’il a de soi – et ce choix est délibéré. La Malanka est traditionnellement associée à la mort, mais la résurrection succède à la mort. De son côté, le culte s’inspire non seulement de rites païens, mais aussi chrétiens. Mais ce qui me fascine le plus, c’est cette décharge d’énergie, individuelle autant que collective. J’ai voyagé pendant plusieurs années et j’ai rencontré pas mal de gens en tournant mon documentaire Krasna Malanka. Je souhaitais évoquer ce que j’y avais vécu dans un film de fiction. C’est pour cela que la Malanka est devenue un élément essentiel, un point de départ dans la hiérarchie des communautés des villages frontaliers qui respectent cette tradition. C’est en voyant Victor Ou Nazar choisir leur rôle que l’on comprend que quelque chose est en train de se passer. Mon rôle est de guider l’attention du spectateur, cet observateur silencieux.

Le film se déroule dans la région multiethnique de Tchernivtsi dont vous êtes originaire. En quoi cette région se distingue-t-elle ?
Le Tchernivtsi est une région au carrefour de toutes les cultures qu’on ne peut trouver que dans une zone frontalière. Il y a là des Roumains, des Moldaves, des Arméniens et d’autres nationalités y sont aussi représentées. C’est une sorte de tour de Babel. Elle est emblématique des zones frontalières : c’est un mélange de cultures, un croisement de plusieurs nationalités, un syncrétisme religieux. Cette diversité des croyances est très répandue dans les régions montagneuses : les habitants croient en Dieu et en la Sainte Trinité tout en obéissant à des rites païens ou en consultant des voyants. Cette dualité faisait partie intégrante de mon quotidien quand j’étais enfant : lorsque j’étais malade, on m’emmenait non seulement voir un médecin, mais aussi une voyante. Cela m’a beaucoup marqué et a largement guidé le choix du sujet de mon film, de son contexte géographique et de l’origine des personnages principaux.

Le film croise lui-même plusieurs genres, du western au film noir. Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Avec mon chef-opérateur, on n’avait qu’une seule référence. Je lui ai demandé de regarder les toiles du Caravage et de les garder en tête. Je lui ai aussi demandé d’être audacieux dans le choix des couleurs. Nous avions notre propre palette chromatique. Le serment de Pamfir est une histoire familiale : elle est chatoyante, avec des couleurs extrêmement chaudes et riches. En écrivant le scénario, j’ai intégré certains codes propres à ces genres. Par exemple, celui du retour d’un protagoniste dans un lieu de son passé où il n’a plus sa place, qui est un thème classique du western. J’ai cherché à croiser les genres, mais comme j’avais envie de jouer avec les codes, je ne me suis fixé aucune limite. J’ai déambulé dans un labyrinthe de genres, dans le scénario et à l’image, pour me concentrer sur le sens davantage que sur la forme. En travaillant sur le style, j’ai pris conscience qu’il fallait que je crée une mythologie et que je pouvais m’appuyer sur le recours au genre. Le croisement des genres m’a intéressé et je n’avais pas envie de m’en tenir à une référence uniquement. Néanmoins, je peux évoquer certaines métaphores. La Malanka est une métaphore de La chute d’Icare de Bruegel l’Ancien qui, d’ailleurs, est une illustration du proverbe « Aucune charrue ne s’arrête pour un homme qui meurt ». Au premier plan, on voit que la vie continue normalement, tandis qu’à l’arrière-plan, une tragédie se produit, mais elle devient secondaire dans ce contexte.

Comment avez-vous travaillé avec votre chef-opérateur Nikita Kuzmenko ?
Je connaissais Nikita depuis un certain temps. Nous avions participé à un film étudiant ensemble. Il adore lui aussi les Carpates et il y avait déjà tourné. On s’est lancé après une longue période de développement. Il s’agissait avant tout de suivre un personnage, comme dans un tunnel ou un labyrinthe, et de coller à ses pas, sans s’arrêter. Le mouvement de la caméra devait traduire le rythme de la vie du personnage. On a répété dans les Carpates pendant huit semaines. Au moment des repérages, on s’est attaché aux angles, aux virages, aux coins et aux portes – autant que possible. Nikita est un virtuose. Il a accompli son travail à la perfection. On voulait avoir une circulation parfaitement fluide. Une fois cet objectif atteint, on a pu affiner le scénario et rechercher des intonations chez les personnages.

Comment avez-vous choisi les acteurs ? Comment les avez-vous dirigés ?
On a cherché l’interprète de Pamfir pendant deux ans. J’ai rencontré Oleksandr Yatsentyuk et il s’est révélé être réfléchi et rigoureux. Je lui suis reconnaissant d’avoir accepté de participer à un tel marathon. Quand je lui ai demandé de prendre du poids, il ne m’a posé que deux questions : combien de kilos devait-il prendre ? Et pendant combien de temps ? La plupart des acteurs viennent de l’ouest de l’Ukraine. C’était plus simple pour eux de parler en dialecte. Pour autant, Olena Khokhlatkina, qui campe la mère de Pamfir, est de l’est du pays. Je lui ai demandé d’apprendre le dialecte. Bien qu’elle ait peu de dialogue dans le film, elle s’est beaucoup plus préparée que ses partenaires. Pour Nazar, le fils de Pamfir, on a organisé une séance de casting dans un campement improvisé : les garçons jouaient ensemble en s’attribuant des surnoms et improvisant différentes situations. Oleksandr Yatsentyuk (Pamfir) et Solomiya Kyrylova (Olena) tournent ici leur premier long métrage. C’est également le cas de Stanislav Potiak (Nazar), mais il s’agit d’un acteur non-professionnel. Grâce à mon expérience du documentaire, j’ai trouvé des « clefs » pour élaborer les archétypes. J’ai mis au point une méthode de travail avec les acteurs : dans mon court-métrage, Weightlifter, pendant plus de quatre mois j’ai fait des répétitions avec des haltérophiles et leurs partenaires, qui n’étaient pas des acteurs. Le film entier s’appuie sur des non professionnels. Deux éléments sont essentiels dans la direction d’acteur : l’improvisation et savoir repousser les comédiens dans leurs retranchements. C’est par ces deux étapes décisives que passent les interprètes d’un film.

Le montage est une étape importante de votre travail.
Je souhaitais que le monteur se contente de lire le scénario, puis qu’on lui livre les rushes après le tournage. En réalité, on montait deux films en même temps car chacun de nous avait sa propre version. J’étais résolu à ne pas effacer un seul plan. On a monté pendant la pandémie, et chacun de nous deux a construit sa propre histoire. On s’est retrouvés après le confinement et on s’est attelé au montage d’un « troisième » film. Le plus gros déf i, c’était de trouver le moyen de débuter et de conclure chaque scène. Il fallait conserver l’énergie de la scène précédente pour enchaîner avec la suivante. On a fait de notre mieux pour conserver l’unité d’une tragédie empruntant à plusieurs genres. Nikodem a cherché des solutions avec une grande exigence. Je connaissais bien les rushes, mais lui les connaissait par cœur. On a expérimenté beaucoup de pistes ensemble.

Vous développez Pamfir, votre premier long métrage, depuis plusieurs années. Dans quel état d’esprit êtes-vous au moment où votre film, qui se déroule dans un village frontalier, s’apprête à sortir dans un contexte où l’Ukraine défend ses frontières ?
J’ai le sentiment que depuis trente ans – depuis que l’Ukraine est indépendante – nous nous sommes appropriés les aspirations des générations antérieures : nous voulons vivre à l’écart de la sphère d’influence de l’empire soviétique. Nous souhaitons intégrer le vaste ensemble démocratique que constitue l’Union européenne. Depuis 2014, ce désir de nous démarquer le plus possible des Russes est devenu de plus en plus prégnant. Pamfir est un père qui veut ce qu’il y a de mieux pour son fils et qui fait tout pour y parvenir, y compris tenter l’impossible. En réalité, il va jusqu’à se sacrifier – et sacrifier ses convictions – pour offrir un avenir meilleur à son fils. Plus nous réfléchissons à notre identité et aux raisons pour lesquelles nous sommes en guerre, plus nous prenons conscience que les fondements de ce combat pour la liberté ne remontent pas à dix ou trente ans, mais à des siècles. Il me semble que Pamfir est un Ukrainien caractéristique qui se bat pour son avenir alors qu’il a connu un passé difficile. Il s’identifie totalement à l’Ukraine. Son style évoque l’allure modernisée d’un Cosaque zaporogue.

Vous avez tourné à la fois des documentaires et des films de fiction. Quels sont vos futurs projets ?
En sachant que mon pays est en guerre, je ne peux pas me projeter au-delà de trois à cinq jours. Tout peut changer en une seconde : une explosion peut se produire près de chez moi, même dans un endroit qui paraît à l’abri. Je veux être aux côtés de mes compatriotes. Depuis le 24 février, je n’ai quitté l’Ukraine que quelques jours pour achever la postproduction. Je tiens à être sur place à présent. Je suis conscient que l’œuvre d’un cinéaste n’a pas la même force que, par exemple, l’expertise en matière de combat tactique. Pourtant, je pense que si tous les artistes ukrainiens assassinés par le régime soviétique au XXème siècle avaient survécu, ils auraient fixé un nouveau cap pour notre identité. C’est pour cela que j’estime qu’il est capital de documenter ce qui se passe à l’heure actuelle. Et c’est ce que je fais. Je ne sais pas ce qui se passera ensuite. Je crois profondément en notre victoire. De mon côté, je fais tout ce que je peux pour aider mon pays.


CRITIQUE

Comment réussir à prendre un nouvel envol quand le mythe pèse plus que l’humain ? Retour sur Le serment de Pamfir, film ukrainien présenté à la Quinzaine des Réalisateurs.

Pamfir est un géant bigger than life, mais derrière ce personnage se cache Léonid, un homme plus sensible que ce qu’il en a l’air, prêt à tout pour changer le cours de l’histoire de sa famille. Nazar, le fils de Léonid, mettra le feu à la paroisse du village et Pamfir sera obligé de reprendre son activité de contrebandier. La mise en scène de Dmytro Sukholytkyy-Subchock est brodée de nuances et de couches. Le serment de Pamfir est un film très riche et stimulant. Les personnages dansent en permanence avec la caméra. Le dispositif est pesant mais jamais lourd, ambitieux mais jamais grandiloquent. Les panoramiques se déplacent en forme de demi-cercle face aux personnages, c’est comme si Sukholytkyy essayait de les circonscrire pour mieux les embrasser. Les travellings qui circulent entre l’arrière et l’avant terminent de configurer une orbite autour d’eux.

L’impuissance de Pamfir n’est pas anodine. De la même manière que chez l’Alain Leroy du Feu follet de Louis Malle, le monde extérieur finit par le plonger dans la plus profonde dépression. La cruauté de l’establishment envers ceux qui rêvent d’un avenir meilleur est terrible. Olena, la femme de Léonid, lui demande de se montrer plus humble et d’accepter ce que le destin leur réserve. Pamfir répondra alors à Olena que son grand-père Pamfir avait été calomnié au sein de l’église suite aux icônes qu’il dessinait : « L’humilité ne sert pas à remplir le vide. Où était Dieu quand on avait besoin de lui ? ».

Quand le pouvoir totalitaire tente d’effacer toute forme de dissidence, il est indispensable que les voix plus lucides se réveillent pour prendre une parole qui pointe du doigt l’horreur. Le serment de Pamfir est un film qui prône l’excellence dans ce sens-là. Très brillant formellement, mais aussi juste et proche de ses personnages. Sukholytkyy ne se complait jamais dans le misérabilisme, il fait en sorte d’arriver à une sorte d’espoir. L’espoir d’avoir la possibilité de tout recommencer.
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