Dans une petite ville en Pologne, Léon Okrasa est employé dans un hôpital. Anna, est une jeune infirmière qui travaille dans le même hôpital. Léon passe son temps à espionner Anna, à la guetter de jour comme de nuit.
Un soir, il finit par s’introduire dans l’appartement d’Anna par la fenêtre qu’elle laisse entrouverte. Alors, Léon s’installe sur son lit, l’observe dans son sommeil, s’imprègne de son univers. Où s’arrêtera t-il ?
Quinzaine des Réalisateurs – Festival de Cannes 2008
Avec Artur STERANKO Leon Okrasa • Kinga PREIS Anna
Réalisation Jerzy SKOLIMOWSKI • Scénario Jerzy SKOLIMOWSKI, Ewa
PIASKOWSKA • Directeur de la photographie Adam SIKORA • Musique originale Michal LORENC • Montage image Cezary GRZESIUK • Ingénieur du son Frédéric DE RAVIGNAN • Monteur son Philippe LAULIAC • Mixeur Gérard ROUSSEAU • Chef costumière Joanna KACZYNSKA • Chef décorateur Marek ZAWIERUCHA • Producteurs Paulo BRANCO, Jerzy SKOLIMOWSKI • Producteurs exécutifs Ewa PIASKOWSKA, Philippe REY • Directeurs de production Andrzej STEMPOWSKI, Anne MATTATIA • Produit par ALFAMA FILMS PRODUCTION – SKOPIA FILM • En association avec WILD BUNCH • Coproduit par TELEWIZJA POLSKA S.A., AGENCJA FILMOWA Avec la participation du CNC et de Polish Film Institute • Avec le soutien de Soficapital
Jerzy Skolimowski
Né en 1938 à Lódz (Pologne), il publie très tôt poèmes et nouvelles, puis suit une formation à l’école de cinéma, en compagnie notamment de Roman Polanski. Il est l’auteur du scénario du premier long métrage de celui-ci, Le couteau dans l’eau. Dans les années 60, le cinéma de Jerzy Skolimowski participe au renouveau du cinéma en Europe centrale et orientale, dans le sillage de la Nouvelle Vague française. À cette époque, Skolimowski participe aussi à des films en tant qu’acteur et pratique la boxe en amateur. L’engagement physique, la dépense, l’énergie se retrouvent justement dans ses films, tant dans la mise en scène et le montage qu’à l’écran, et resteront tout au long de sa carrière un signe particulier de sa poétique. Des films comme Walkover, Le départ, Deep End montrent la jeunesse et l’adolescence comme un état où se manifeste une pulsion vitale inquiète. Le départ a reçu l’Ours d’Or au Festival de Berlin en 1967. En 2001, Jean Narboni parlait encore de ce film comme « l’un des plus beaux films jamais réalisés sur l’idée de jeunesse ». Au milieu des années 60, Jerzy Skolimowski quitte la Pologne pour la Grande-Bretagne, avant de vivre aux États-Unis.
Dans sa filmographie, on peut distinguer les œuvres personnelles, quasi-auto-biographiques, et les grandes productions internationales, adaptations littéraires de commande telles que Les aventures du brigadier Gérard ; Roi, dame, valet ; Le bateau phare ; Eaux printanières, et Ferdydurke, dans lesquelles il imprime sa signature. Habitué du Festival de Cannes, il y voit ses films représentés depuis 1972, avec notamment, cinq nominations et deux prix : Grand prix spécial du jury pour Le cri du sorcier en 1978, et Prix du scénario pour Travail au noir en 1982. Il continue à recevoir de nombreux hommages et plus particulièrement en 2001, au Festival de Belfort, puis à la Cinémathèque française en 2002. On retrouve ses films souvent associés à ceux de Godard, comme à Nantes en 2003. Plus récemment, la Cinémathèque québécoise lui a offert une belle vitrine, à travers une rétrospective de ses films sur le thème « Entre l’Errance et l’Exil ». Avec Quatre nuits avec Anna, Jerzy Skolimowski propose un film noir, intimiste, qui dissèque l’univers mental de son héros dans une dialectique objectif-subjectif, entre naturalisme et poésie. Il renoue ainsi avec sa veine personnelle.
FILMOGRAPHIE
2015 11 MINUTES
2010 ESSENTIAL KILLING
2008 QUATRE NUITS AVEC ANNA
1991 FERDYDURKE
1989 EAUX PRINTANIERES
1985 LE BATEAU PHARE
1984 LE SUCCES A TOUT PRIX
1982 TRAVAIL AU NOIR
1981 HANDS UP !
1978 LE CRI DU SORCIER
1972 ROI, DAME, VALET
1970 DEEP END
LES AVENTURES DU BRIGADIER GÉRARD
1967 LE DEPART
1966 BARRIER
1965 WALK OVER
1964 SIGNES PARTICULIERS : NÉANT
Entretien avec Jerzy Skolimowski
Vous avez tourné votre film précédent, Ferdydurke, en 1991. Qu’avez-vous fait pendant cette période ?
J’ai peint. J’avais enfin le temps de peindre tout ce que j’ai voulu peindre dans ma vie. J’ai exposé aux États-Unis, au Canada, en France, en Pologne. La peinture a toujours été l’art qui m’intéressait le plus. J’ai peint dès mon adolescence, ensuite je n’avais plus le temps. Une chose a contribué à ce que je revienne à la peinture, c’est qu’avec l’âge et les expériences pas très heureuses que j’ai éprouvées quand je faisais mes films, j’ai développé une certaine aversion à côtoyer des gens. Dans cet état psychique d’il y a quinze ans, je ne pouvais donc plus envisager de faire des films. Je me suis enfermé dans mon atelier, je me suis reposé de la fatigue causée par toutes ces personnes. Et cela fait à peu près un an que je me sens de nouveau prêt.
Où viviez-vous ?
À Malibu en Californie. La vue qui s’étalait devant ma maison m’apportait un certain confort mental. Je n’avais que l’océan devant moi. Et derrière moi, la montagne. Cela peut sembler d’ailleurs bizarre que j’ai mis si longtemps à me reposer… En quelque sorte le temps était arrêté. J’avais quelques connaissances, qu’on peut compter sur les doigts d’une main. C’est par des amis que j’ai appris ce fameux procès d’O.J. Simpson, l’Amérique le commentait heure par heure, j’étais détaché, sans télévision ni journaux. Je n’ai su qu’il y a deux semaines qu’il avait été reconnu non coupable. C’est comme si j’avais passé quinze ans sur une autre planète.
Comment l’envie d’écrire est-elle revenue ? Pour ce film en particulier ?
Comme je suis membre de l’Académie des Oscars, chaque année on m’envoie l’ensemble des films pris en considération pour être nominés. En général, je n’arrive pas à dépasser les premières minutes. Je me suis posé la question : quel est le film que je voudrais voir ? Cela a commencé par un fait divers qu’Ewa Piaskowska a lu quelque part : en Extrême-Orient, un homme terriblement timide, très amoureux d’une femme, n’a trouvé qu’un moyen de se rapprocher d’elle : la nuit il se faufilait chez elle pour la regarder. C’est tout.
Pourquoi tourner en Pologne ?
C’était le plus simple. J’avais une liberté entière. Nous avons produit le film nous-mêmes, avec Ewa Piaskowska et Paulo Branco nous a aidés. J’ai eu quarante jours de tournage, deux fois plus que de coutume en Pologne.
Le film est foncièrement polonais dans le mélange de tragi-comique, avec ce personnage isolé, obsessionnel.
Oui, probablement. La Pologne est un pays assez surréaliste. Le surréalisme renferme et le côté ridicule et le côté tragique. La première image qui m’est venue à l’esprit est celle de la vache qui flotte sur l’eau. Leon, le personnage, va à la pêche et je voulais que dans cette situation normale de sa vie, il y ait un signal qu’il allait se passer des choses bizarres.
Le décor de la scène du viol est extraordinaire : un bateau de pêche, au milieu d’un kolkhoze abandonné…
En fait les choses sont liées, je voulais confronter deux éléments, l’eau et le feu. Leon est en contact quotidien avec l’eau parce qu’il pêche et avec le feu parce qu’il travaille au crématorium de l’hôpital. J’ai donc cherché un endroit où il y aurait plein d’eau, des lacs : en Mazourie au nord-est de la Pologne, l’eau est visible partout. Il y a aussi dans cette région un choc de cultures : c’est à la frontière entre l’ancienne Pologne et l’ancienne Prusse orientale. L’influence allemande est perceptible dans l’architecture de l’hôpital et en même temps les petites maisons sont polonaises. Cette histoire est placée partout et nulle part. Cela ne m’intéressait pas de montrer des voitures, des portables, des téléviseurs…
La bizarrerie laisse place à une histoire d’amour.
Si on compare ce film à mes films plus anciens, cette fois-ci je voulais raconter l’histoire d’un sentiment. Mais, à certains moments, le spectateur ne pourra pas accepter ce héros. Je voulais une attitude ambivalente. Que le spectateur veuille le défendre quand il est condamné, mais d’un autre côté qu’il ne soit pas acceptable à cent pour cent. Il éveille un certain soupçon, comme s’il y avait en lui une tendance à s’auto-accuser. Il est témoin d’un viol : peut-être cette vue l’a-t-elle fasciné, peut-être était-il trop lâche pour intervenir. Je ne voulais pas un héros sympathique, je veux qu’il soit vu de haut, avec une certaine condescendance, par la plupart des spectateurs. Les spectateurs doivent se sentir meilleurs, plus intelligents que mon héros. Les choses sont mieux en place dans le cerveau du spectateur que dans la tête du personnage. C’est un personnage à la limite de l’autisme. Il ne participe pas au monde. Pendant le viol, il est surpris de voir la vie lui présenter quelque chose de si incompréhensible. Le monde prend sa revanche sur lui au tribunal. Il ne répond pas, son visage est absent. Pour mon propre usage, j’appelle cette grimace « le visage de Buster Keaton ». Comme s’il était à côté. Il préfère regarder une mouche ; c’est quelque chose qui est dans son monde à lui.
Il est proche des animaux.
Le seul moment où j’ai senti ma gorge se serrer au cinéma, c’est pour Au hasard Balthazar. Mon personnage est aussi limité que cet âne. Je m’identifie dans une certaine mesure à ce personnage-là. Au début du film, on voit dans un miroir déformant comment le monde aimerait le voir pour le ranger dans un tiroir. Ce visage éveille notre inquiétude. Mais ce n’est qu’une apparence.
Le plus émouvant est sa maladresse.
Oui, cette merveilleuse tristesse ne consiste pas seulement en une grimace, elle touche le corps entier. À Hollywood, je ne pourrais pas avoir cette finesse de trait ; il faudrait que le personnage soit plus criard.
Comment avez-vous trouvé votre acteur ?
C’est le meilleur choix d’un interprète pour un rôle que j’aie jamais fait. J’avais trois candidats. Le plus jeune avait 22 ans, le plus âgé 50, le troisième entre les deux. Le plus jeune singeait, c’est un vrai talent qui commence à apparaître. Le second reconnu sur la scène artistique, acteur intelligent, a tout compris au scénario ; force intellectuelle. Un troisième, un homme brisé par la vie, jouant dans un théâtre de province des rôles qui lui arrivent au hasard. C’est celui-là qui m’a convaincu. Les deux autres auraient joué Leon ; lui pouvait le devenir.
Vous avez travaillé ensemble ?
Aujourd’hui j’ai l’impression qu’il n’a pas participé, ou que s’il l’a fait, ce n’est pas de manière consciente. Il s’est passé quelque chose de magique, Leon s’est imposé à lui. On n’a pas fait de lecture de scénario ; un mois avant le tournage, je lui ai demandé de mettre des semelles de plomb pour alourdir son pas : ça a transformé sa manière de marcher. Il avait subi une attaque cérébrale. Il avait peur de ne pas être en mesure de refaire ce qui lui était demandé : je lui ai dit que c’était justement ça, ce personnage. On peut faire autrement, comme Daniel Day-Lewis dans My Left Foot : il s’est injecté le personnage comme s’il avait vécu sa vie ; entre les prises, il se couvrait la tête pour ne pas être en contact avec les autres. C’est une méthode technique. Comme dans Rain Man, nous sommes à l’extérieur d’une grande performance. Alors que là, dans mon film, je peux croire : oui c’est lui, c’était réellement lui. On a créé autre chose, à la limite d’une psychothérapie.
Vous pensez maintenant au projet America d’après Susan Sontag ?
Je ne pense à rien. Je n’arrive même pas à peindre. Je dois me remettre de ce film et de ce tournage. Aujourd’hui je dois vivre la maladie de ce film.
Entretien réalisé par Stéphane Delorme pour les Cahiers du Cinéma