Reza aime Fati, et ce n’est pas leur divorce qui l’en empêchera… Il attend son retour, déambulant dans Ispahan, où il se plonge tout entier dans l’écriture d’un livre sur les légendes persanes… Quant à Fati, elle revient toujours pour mieux repartir aussitôt le jour levé. Finira-t-elle par rester ? Ou Reza finira-t-il par se libérer de son ensorcellement ?
Entrevues Belfort – Prix Ciné +
Mumbai Film Festival – Mention spéciale du Jury
Avec : Avec : Alireza Motamedi, Sahar Dolatshahi, Solmaz Ghani, Reza Davoudnejad, Setareh Pesyani
Réalisation & scénario : Alireza Motamedi • Produit par : Alireza Motamedi & Kiumars Poorahmad • Image : Ali Tabrizi • Son : Rashid Daneshmand • Montage : Meysam Molaei • Direction artistique : Keyvan Moghaddam • Musique : Shahram Nazeri & Sardar Sarmast
Alireza Motamedi
Alireza Motamedi est diplômé en littérature persane et est connu en Iran pour ses travaux d’écrivain, de poète, de critique de cinéma et de scénariste depuis 20 ans. Il est l’auteur de scénarios pour plus de 20 longs métrages et de séries télévisées. Reza est son premier long-métrage en tant que réalisateur.
ENTRETIEN AVEC ALIREZA MOTAMEDI
Comment l’idée de ce film vous est-elle venue ?
Le film parle d’un homme amoureux qui ne renonce jamais à son histoire
d’amour. La littérature est remplie d’histoires, parfois très anciennes,
où l’amoureux affronte bien des difficultés et des péripéties avec
l’espoir de pouvoir enfin rejoindre l’être aimé. Je me suis très
longtemps demandé comment je pourrais à mon tour raconter et filmer ce
motif, mais avec des personnages contemporains. Comment serait
représentée cette figure et comment vivrait-elle ses histoires ? M’est
alors venue l’idée d’un homme qui ne désespère jamais de son amour et
qui ne devient jamais fou, à l’opposé donc du motif classique.
Vous avez choisi d’interpréter vous-même le personnage principal de cette histoire. Etait-ce prémédité ?
J’ai commencé ma carrière comme acteur de théâtre. Plus tard, j’ai joué
dans des films et des séries, mais cela ne m’a jamais réellement
intéressé et j’ai abandonné assez rapidement. Je n’avais au début pas
l’intention de jouer dans le film.
Reza est mon premier film, j’en suis à la fois l’auteur, le réalisateur
et le producteur, je me voyais donc mal endosser une quatrième
casquette. Penser le jeu d’acteur, en plus de tout le reste, me semblait
impossible. Je me suis donc mis à la recherche d’un acteur amateur
capable de jouer ce rôle. Je ne voulais pas utiliser de comédien
célèbre, ni de star de cinéma, car je voulais que le spectateur n’ait
aucun a priori par rapport au personnage de Reza, et que l’acteur soit
complètement brut et malléable. J’ai beaucoup cherché parmi les
peintres, les musiciens, j’en ai observé beaucoup, mais personne ne
convenait complètement. Et, plusieurs personnes de mon entourage me
répétaient régulièrement qu’il fallait que ce soit moi qui joue Reza.
Certains traits de caractère du personnage leur faisaient beaucoup
penser à moi. J’ai fini par accepter de jouer le rôle moi-même.
Aujourd’hui, je suis convaincu qu’ils ont eu raison de me pousser à
accepter, car cela m’a réconcilié avec le jeu et j’ai pris beaucoup de
plaisir à jouer dans le film. Ma présence simultanée en tant qu’auteur,
réalisateur et acteur m’a peut-être permis d’être encore plus proche du
personnage et de l’idée que j’en avais.
Le film débute
sur le divorce. Cependant, Reza et Fati semblent avoir toujours de
l’affection l’un pour l’autre. Pourquoi cette ambiguïté ?
La relation entre Reza et Fati, même après leur divorce, est toujours
amicale car ils ne se s’éloignent jamais réellement l’un de l’autre,
même si Fati évolue et souhaite construire une nouvelle vie. Reza, au
contraire, fait comme si de rien n’était, il nie la rupture. Il continue
d’entretenir sa maison, sa relation, de mener sa vie, comme si rien
n’avait changé. Il ne quitte jamais véritablement Fati. Il attend parce
qu’il voit ce divorce comme le prolongement de son mariage, comme s’il
en faisait partie intégrante. Dans la scène où Reza rencontre Violet, il
lui dit que Fati a pris une telle place dans sa vie qu’il lui est
difficile de l’oublier complètement, et c’est là tout l’enjeu du film.
Un être est tellement épris, que même lorsque la femme qu’il aime le
quitte, il ne l’oublie pas et
reste dans son expectative. L’amour de Reza pour Fati est immuable.
Leur séparation ne signifie que le départ de Fati et non la fin de leur
amour, tout du moins pour lui.
Il y a comme une forme de douceur dans le film. Les cadres
sont très composés et lumineux. Comment avez-vous pensé le ton et
l’image du film ?
L’une de mes idées principales concernant l’esthétique du film reposait
sur le contraste entre le tragique du divorce, la solitude de Reza et
les décors luxuriants d’Ispahan. Je voulais que les images soient
chaudes et sophistiquées, que les sons soient doux, comme si Reza
habitait au paradis. Dès l’écriture, j’ai beaucoup réfléchi au son du
film. Je voulais que l’ensemble du film soit rempli de chants d’oiseaux,
comme une sorte de jardin d’Eden. Je voulais aussi que Reza entende de
la musique ou une chanson partout où il va. Je ne suis pas très à l’aise
avec la musique d’ambiance dans les films, et je ne voulais que du son
direct, joué sur le plateau. Aussi, nous avons composé toutes les
musiques en amont du tournage : le chant de la mosquée, sous le pont, le
saxophone de nuit ou le hangdrum près du feu : tout était “IN”. Enfin,
je voulais que les voix humaines constituent une sorte de motif dans le
film. Je pensais qu’un chant soliste pouvait très bien montrer la
solitude de Reza. C’est pourquoi j’ai répété ce motif à plusieurs
endroits du film, et qu’à la fin, au moment où le titre du film apparait
on entende le chant magique de Shahram Nazeri, le célèbre chanteur
kurde irannien.
Tout au long du film, Reza écrit un livre inspiré d’une
légende persane. A quelle moment la littérature s’est-elle arrimée dans
le film ?
Le livre que Reza écrit pendant le film est extrait d’un livre que j’ai
écrit. Dans ce livre, j’ai essayé de créer une histoire qui ressemble à
une légende antiqueautour du mythe de la création de la ville
d’Ispahan. L’histoireest écrite en perse ancien, à la manière des Mille et une Nuits
ou du Masnavi du poète soufi Jalâl ud Dîn Rûmî. Le ton, la forme
narrative et l’histoire ancienne, je voulais que tout cela figure dans
le film. Reza fait entrer le charme des histoires anciennes dans notre
monde contemporain et son amour donne vie aux mythes.
Quels sont vos principales sources d’inspirations ; en littérature comme en cinéma ?
Je suis un amoureux du cinéma. Et il y a beaucoup d’artistes que
j’admire et qui m’ont sans aucun doute influencé. Fellini, Antonioni,
Bergman, Tarkovski, Truffaut, Godard, Woody Allen, Ozu, Mizoguchi,
Kurosawa, Kobayashi ; j’aime énormément le cinéma japonais. J’aime aussi
Chaplin, Keaton ou Laurel et Hardy. Dans le cinéma iranien j’admire
surtout Dariush Mehrjui et Abbas Kiarostami. Je suis également très
impressionné par le travail sur la lumière de Bella Tar. Je pourrais
vous citer des cinéastes jusqu’à demain… Cependant, la source principale
de mon inspiration reste la littérature : la langue et la littérature
persanes m’enchantent continuellement. Je suis écrivain : mes poèmes et
mes histoires ont été publiés, pourtant la magie de la littérature reste
pour moi intacte. J’ai essayé avec Reza de restituer quelque chose de
cette magie.
Traduit du farsi par Christophe Parre