Teen-movie documentaire, Swagger nous transporte dans la tête de onze adolescents aux personnalités surprenantes, qui grandissent au cœur des cités les plus défavorisées de France. Malgré les difficultés de leur vie, les gosses d’Aulnay et de Sevran ont des rêves et de l’ambition. Et ça, personne ne leur enlèvera.
SELECTION ACID – FESTIVAL DE CANNES 2016
Avec : Aïssatou Dia, Mariyama Diallo, Abou Fofana, Nazario Giordano, Astan Gonle, Salimata Gonle, Naïla Hanafi, Aaron N’Kiambi, Régis Marvin Merveille N’Kissi Moggzi, Paul Turgot, Elvis Zannou
Scénario Olivier Babinet • Image Timo Salminen • Son Guillaume Le Braz, Christophe Penchenat, Valérie Deloof • Montage Isabelle Devinck • Musique Jean-Benoit Dunckel
Olivier Babinet
Olivier Babinet est né à Strasbourg, il est révélé au public avec la série Le Bidule diffusée en 1999 sur Canal+.
En 2008, il réalise son premier court-métrage, C’est plutôt genre Johnny Walker.
Le film remporte de nombreux prix en festivals dont le prix spécial du
jury à Clermont-Ferrand. Son premier long-métrage Robert Mitchum est
mort, coréalisé avec le photographe Fred Kihn, est projeté au 63e
festival de Cannes à l’Acid. Le film a notamment remporté le Grand Prix
du Festival Premiers Plans d’Angers et a été nominé en tant que meilleur
premier film au Raindance London Festival. En parallèle de ses
activités de scénariste et de réalisateur, Olivier Babinet travaille
pendant deux années avec des collégiens d’Aulnay-sous-Bois. Dans un
quartier où 50 % des familles vivent en dessous du seuil de pauvreté.
Cette collaboration a abouti à la réalisation par ces adolescents de 8
courts-métrages fantastiques et de science-fiction. Au fur et à mesure
de ces rencontres l’idée de leur consacrer un film documentaire a germé.
Quatre années en tout, passées en immersion avec eux. Swagger a
été présenté au Festival de Cannes 2016, Sélection ACID. Olivier
Babinet fait partie du collectif d’artistes «We are Familia» et réalise
de nombreux clips (Cheveu, Zombie Zombie, Tomorrow’s World, Rita
Mitsouko, Mathieu Boggaerts, etc.) Il est par ailleurs contributeur du
magazine New Yorkais «Chalet», dans lequel son journal semi-imaginaire
«Desire and Desillusion», paraît sous forme d’épisodes.

SWAGGER
SWAGGER (verbe) : Rouler les mécaniques – Parader – Plastronner Se pavaner – Faire le fier – Marcher avec une allure fière.
« What hempen homespuns have we swaggering here, So near the cradle of the fairy queen? »
« Quels sont ces rustiques personnages qui font ici les fanfarons, Si près du lit de la reine des fées ? »
WILLIAM SHAKESPEARE, Songe d’une nuit d’été.
« Quand je suis arrivé à Aulnay, les gamins utilisaient le mot «swag» à tout bout de champ, puis, un an après, quand je lui demande de me parler de swag, Régis me regarde avec une moue condescendante, «C’est fini swag… Maintenant on dit «swagance », « swagologue »… Un peu penaud, je me renseigne sur l’origine de ce mot et je vois que cela vient de « swagger » et que la première trace écrite du mot se trouve dans Le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare ! « Mais qui sont ces fanfarons qui dansent loin du lit de la reine des fées ? ». Dans les années 50 on l’utilise pour parler de Sinatra : c’est la classe du mauvais garçon. Puis on retrouve le mot dans les ghettos américains noirs dans les années 90 jusqu’à ce qu’il arrive à Aulnay. C’est un mot qui revient régulièrement à la mode depuis le XVIème siècle. Je trouvais que c’était un beau titre pour mon film parce que mes héros ont cette manière de se comporter au monde avec style, ils ont tous une attitude et des choses à défendre : malgré les difficultés, les mômes d’Aulnay fanfaronneront toujours. Parce qu’ils ont du swag. C’est le choc entre cette énergie de vie, cette fierté balancée à la face du monde, confrontée à la dureté de leur environnement, qui m’ont bouleversé pendant les années que j’ai passées là-bas, au collège Claude Debussy. C’est cette expérience qui a nourri la réalisation de Swagger, un film qui ne regarde pas la banlieue, mais nous fait voir le monde à travers le regard de ses enfants. »
OLIVIER BABINET
ENTRETIEN AVEC OLIVIER BABINET
COMMENT EST NÉ SWAGGER ?
J’ai d’abord réalisé un court-métrage, C’est plutôt genre Johnny
Walker, qui a reçu une aide financière de Cinémas 93, une association de
Seine-Saint Denis qui aide aux financements de films. Avec eux, je suis
allé montrer le film en prison, puis à des collégiens et des lycéens de
Saint-Denis. C’est comme cela que j’ai rencontré Sarah Logereau,
professeur de français au collège Claude Debussy à Aulnay-sous-Bois et
grâce à qui tout a commencé. Elle m’a proposé d’animer un atelier avec
une classe de 4ème. J’ai travaillé avec ces élèves sur le fantastique au
quotidien, je leur demandais de raconter leur trajet le matin puis des
rêves et des cauchemars. Nous avons mélangé le tout pour faire une série
de petits films. De fil en aiguille, l’année suivante, on m’a proposé
de séjourner au collège un jour par semaine, dans le cadre du dispositif
de résidence d’artiste In Situ, via le Conseil Général de
Seine-Saint-Denis.
In Situ demande, en langage institutionnel, à l’artiste de « rayonner
», c’est-à-dire de tenter d’avoir un rôle auprès de l’ensemble du
collège. Afin de « rayonner » j’ai donc, le jour de mon arrivée,
détourné les sonneries du collège, les remplaçant par des morceaux de
musique de Bernard Herrmann, Cypress Hill, Tyler The Creator, des sons
de Game Boy, Michel Legrand… Passé l’effet de surprise, les élèves se
sont mis à danser dans les classes, dans les couloirs, dans la cour.
Cela a rendu la rentrée légèrement surréaliste et permis à l’ensemble
des élèves du collège de m’identifier.
Au cours de cette année, j’ai tissé des liens avec les enfants et les
enseignants, la concierge, les surveillants… Je mangeais à la cantine
avec les cancres et le personnel de cuisine me donnait du rab de
patates. Les élèves venaient me voir, j’observais, j’assistais à plein
de scènes très fortes du quotidien collégien.
A l’issue de ces deux années à Aulnay, j’ai souhaité mettre en images
le quotidien de ce lieu à travers un clip dans lequel j’ai proposé à
tous les «habitants» du collège de participer. On a fait ça sur la
musique du groupe de Jean Benoit Dunckel «Tomorrow’s World». Le résultat
était tellement fort que j’ai eu envie d’aller plus loin en faisant un
film sur eux, et sutout avec eux. Trop de films sur la banlieue portent
un regard condescendant.
COMMENT
AVEZ-VOUS TROUVÉ CETTE STRUCTURE DANS LAQUELLE S’ENTRECROISENT VIE
QUOTIDIENNE, ENTRETIENS, SCIENCE-FICTION ET COMÉDIE MUSICALE ?
Le coeur du film devait vraiment être la parole des enfants, j’ai donc
commencé par faire une série de longs entretiens avec une dizaine de
collégiens. Puis pour structurer le film, j’ai écrit un scénario qui
racontait la journée de mes personnages, des choses inspirées de leur
quotidien auquel j’ai ajouté des détails tirés de leurs entretiens ou
que j’ai pu observer durant mes années à Aulnay. Par exemple, les
joueurs de cricket indiens, la scène bucolique façon déjeuner sur
l’herbe, je les ai vus. Et d’un autre côté, j’ai tiré des entretiens,
des envies ou des fantasmes que j’ai mis en scène, soit avec eux comme
dans la comédie musicale de Paul, soit en interprétant leurs visions
comme dans la séquence des drones du futur.
COMMENT AVEZ-VOUS CHOISI VOS HÉROS ?
C’est un processus qui s’est étalé sur plusieurs années. Certains
étaient mes « élèves ». D’autres m’ont été présentés par les
professeurs. D’autres encore sont un jour venus s’asseoir à côté dans la
cour et nous avons entamé une discussion. Comme Aissatou par exemple,
qui posait des questions sur tout. Mais, une chose très importante à
propos du casting : je prenais tout le monde ! Tous ceux qui voulaient
participer ont trouvé leur place dans le film. Et parmi tous ceux-là,
beaucoup ne voulaient pas jouer le jeu des entretiens. On a passé des
semaines à venir et revenir avec Maud Mathery, ma première assistante,
les chargés de productions, les stagiaires, pour relancer les enfants,
récupérer les autorisations parentales… de parents qui souvent ne
parlent pas français, n’écrivent pas… Un boulot énorme mais joyeux,
passionnant. Dans un deuxième temps, j’ai rencontré les familles de mes
personnages principaux, on est rentré dans les cités… Toujours grâce aux
enfants.
LES ENFANTS ÉTAIENT-ILS PRÉVENUS, PRÉPARÉS AUX QUESTIONS ?
Je ne les avais pas prévenus à l’avance des questions que je leur
poserais et c’était les mêmes questions pour tous. Les enfants
acceptaient donc de figurer dans le film sans savoir à l’avance ce qui
les attendait. Je voulais recueillir leur parole brute sans aucun
artifice.
QUELS ÉTAIENT VOS PRINCIPES DE MISE EN SCÈNE ?
J’ai une expression qui me vient : j’ai fait feu de tout bois. Je veux
dire par là que tout partait toujours de l’énergie des enfants, de leur
imaginaire, de leurs références, et aussi de leur environnement, le
collège, les cités, les terrains vagues … Plan fixe, travelling, plan
aériens, steady-cam, ralenti… Tout était permis, j’adaptais ma mise en
scène pour toujours garder la flamme allumée. Autant dans mon précédent
film Robert Mitchum est mort je tenais à faire en quelque sorte mes
preuves dans le cinéma indépendant, nous avions une méthode, des
références qui hantaient le film… Autant dans Swagger, il n’y a pas eu
de dogme. Mon chef-opérateur, Timo Salminen, ne parle pas un mot de
français et c’était agréable d’avoir ce regard neuf posé sur ce milieu,
c’est ce que je voulais, il fallait tout regarder pour la première fois.
La mise en scène c’était de filmer les protagonistes comme des héros de
cinéma, car, pour moi, ils sont des héros.
EN
LES ECOUTANT ON A L’IMPRESSION QU’UN RETOURNEMENT S’OPÈRE: C’EST LA «
BANLIEUE » QUI PARLE DES « FRANÇAIS DE SOUCHE » ET DE PARIS.
Quand je suis allé là-bas ce qui m’a frappé c’est qu’il n’y a pas de
blancs – sauf dans le corps enseignant. C’était ma première observation,
du coup je voulais voir ce qu’ils en pensaient, comment ils le
vivaient, on glisse alors du mot « français » à « blanc » car pour eux
et dans leurs mots c’est la même chose. Et les réactions ont été variées
: lorsque Astan me dit que les Français et eux ne peuvent pas vivre
ensemble, cela pose quand même un vrai problème. En même temps les
propos finissent pas se nuancer et même se contredire, et même elle,
finit par dire qu’elle ne peut pas avoir d’amie française et qu’en même
temps elle se sent française…
LE SURGISSEMENT DE LA FICTION PERMET DE LES ARRACHER AU STÉRÉOTYPE SOCIOLOGIQUE.
Oui, en même temps je désirais vraiment aller sur le terrain, observer,
habiter le collège pour en avoir une image juste et non pas fantasmée.
J’ai également travaillé avec Isabelle Devinck, la monteuse des films de
Pierre Salvadori, qui est principalement une monteuse de comédie. Elle
est véritablement «entrée en religion» avec le film, elle montait tout
le temps : le weekend, le soir de Noël, cela a été pour elle un travail
de montage intensif. Je voulais proposer un vrai spectacle, je voulais
de l’humour et donc c’était important pour moi que le film et le montage
trouvent leur rythme, et d’un autre côté je ne voulais pas perdre de
vue la réalité.
ILS NE SONT PAS PRÉSENTÉS TELLES DES VICTIMES (COMME DANS CERTAINS FILMS OU REPORTAGES TV…).
Malgré la dureté de leur quotidien et ce qu’ils peuvent endurer, il
fallait à tout prix éviter le misérabilisme, leur donner la parole d’une
manière différente en prenant le temps de les écouter. Je suis tombé un
jour sur un reportage d’une chaîne d’info en continu sur le collège
Debussy : on voit la grille du collège filmée de loin, trois mecs à
capuche et du synthétiseur angoissant… Une carte de France avec des
zones de non droit en rouge. Mon propos politique, c’est celui de passer
la grille et puis d’aller à la rencontre de ceux qui se trouvent sous
les capuches. L’engagement du film est de laisser s’exprimer ces enfants
et découvrir des individus. Pas une population fantasmée à qui on donne
des noms fourre-tout qui suintent la peur et les préjugés : « les
racailles», « les weshs ». Je voulais qu’on se concentre sur le point de
vue des enfants pour restituer ce qu’ils sont. Il y avait des adultes
dans le film, des personnages de profs beaucoup plus présents mais qu’on
a finalement beaucoup coupés au montage dans l’idée de rester rivé aux
enfants. Par exemple lorsque Naïla parle d’architecture, je me suis dit
qu’elle posait tout le contexte du film, pas besoin du discours d’un
expert, qu’il soit architecte ou urbaniste. Ce qu’elle dit suffit
amplement.
FALLAIT-IL BEAUCOUP LES DIRIGER ?
Ce qui était génial c’est qu’ils oublient très vite la caméra. Après
c’était parfois très épuisant de devoir gérer autant d’élèves. La scène
avec Régis et son manteau de fourrure, c’est 80 gamins qui hurlent et
qui sont surexcités. D’autres fois ils s’ennuient ou ils sont épuisés et
il faut tenir compte de cette humeur. Mais globalement c’était plutôt
Zéro de conduite : on était dans un collège sans contrainte, il n’y
avait que nous et eux, on avait les clés et on pouvait faire n’importe
quoi. Je pense que cet aspect-là a dû être génial pour eux : ils vont au
collège mais pas pour travailler, il faisait beau, des garçons, des
filles… Les meilleurs souvenirs !
ONT-ILS VU LE FILM ?
Oui. La première fois, certains se cachaient les yeux à chacune de
leurs apparitions ! Depuis, ils m’ont dit qu’à chaque vision du film,
ils l’aiment de plus en plus. Ils assument, c’est eux. Ils mesurent
aussi combien ils ont changé depuis. Aaron, le petit qui préférait le
foot aux filles, mesure désormais 1 mètre 90… et désormais, il
s’intéresse beaucoup aux filles ! Lors du premier visionnage, ils ont
beaucoup rigolé, mais personne ne s’est moqué d’aucun personnage,
notamment lorsqu’un élève se livre. Au fond ils forment une communauté,
la communauté de ceux qui ont accepté de jouer le jeu du film, ils se
serrent les coudes sans même tous se connaître. Ils sont tous très fiers
et je dois parfois les faire redescendre quand ils voient qu’ils sont
crédités comme acteurs sur Allociné.
Et puis les parents qui ont vu le film l’ont beaucoup aimé. Le père
d’Abou m’a dit : « C’est nous. C’est notre ville ». Ce qui est très
important pour moi.
PAR MURIELLE JOUDET