« Je ne suis qu’un fantôme… Mais un fantôme n’est pas rien. »
Ulysse Pick est le chef autoritaire d’une bande de gangsters et un chef de famille négligent. Après une longue absence, il rentre enfin chez lui.
Chez lui…
Une maison qu’il ne reconnaît plus, une maison hantée par les fantômes du passé. Chaque recoin cache un secret dont il cherche la clé et il sent qu’il lui faut entreprendre une véritable odyssée au plus profond de ses souvenirs en parcourant la maison pièce par pièce.
Mais cette odyssée, pleine d’espoir, n’est peut-être que le rêve qui hante Manners chaque nuit, ou le rêve qu’il aurait tant aimé que son père fasse…
Hors compétition – Festival international du film de Berlin 2012
Jason Patric Ulysse Pick
Brooke Palson Denny
David Wontner Manners
Isabella Rossellini Hyacinth
Kevin Mc Donald Ogilbe
Johnny W. Chang Chang
Louis Negin Calypso/Camille
Udo Kier Dr. Lemke
Réalisation Guy Maddin
Scénario Guy Maddin, George Toles
Montage John Gurdebeke
Image Benjamin Kasulke
Producteurs Jean du Toit, Jody Shapiro
Guy Maddin
Né en 1957 à Winnipeg au Canada, Guy Maddin a remis au goût du jour le surréalisme gothique, explorant dans ses films la déviance sexuelle, la répression, la perte et la folie. Guy Maddin est diplômé en sciences économiques. Il a fait depuis 1985 neuf longs métrages et de nombreux courts, véritables triomphes de l’imagination sur les contraintes budgétaires. Ses films se déroulent la plupart du temps dans des décors semi-mythiques, dans un proche passé qui n’a jamais existé.Tom Waits, David Cronenberg ou Martin Scorcese (qui possède une copie de son premier long-métrage) font partie de ses admirateurs. Filmographie 1985 The Dead Father [cm] 1988 Tales from the Gimli Hospital 1989 Mauve Decade [cm] ; BBB [doc]1990 Archangel ; Tyro [cm] 1991 Indigo High-Hatters [cm, perdu] 1992 Careful 1993 The Pomps of Satan [cm] 1994 Sea Beggars [cm] 1995L’Œil comme un étrange ballon se dirige vers l’infini [cm]Sissy-Boy Slap-Party [cm], The Hands of Ida [tv] 1996 Imperial Orgies [cm] 1997 Twilight of the Ice Nymphs 1998 The Hoyden [cm] 1999Hospital Fragment [cm], Maldoror : Tigers [cm], The Cock Crew [cm] 2000 Gas III [cm], The Heart of the World [cm] 2001Dracula, pages tirées du journal d’une vierge [tv],It’s a Wonderful Life [cm], L’Homme qui rit [cm] 2003 Et les lâches s’agenouillent… [installation]The Saddest Music in the World2006 My Dad is 100 years old [cm], Des trous dans la tête !Winnipeg mon amour2009 Night Mayor2011 « Ulysse, souviens-toi ! »
La figure du père dans les films de Guy Maddin
Le père de Guy Maddin venait souvent visiter son fils en rêve après sa mort. Dans ces échappées imaginaires, il était en fait parti vivre avec une autre famille qui lui plaisait plus, mais revenait de temps en temps dans son premier foyer. Ces rêves ont fourni à Guy Maddin l’argument de son premier court-métrage, The Dead Father, où le fils finissait par manger ce père infidèle. C’était la seule solution qu’il avait trouvée pour le garder avec lui. L’évocation du père est l’un des thèmes récurrents de l’œuvre de Guy Maddin. Ce père est à l’origine d’émotions intenses, qui vont de l’idéalisation alors qu’il est absent jusqu’à la profonde déception quand il est présent parmi les siens. Ainsi dans « Ulysse, souviens-toi ! », le père mort réapparaît tel un dieu ayant accompli un miracle. Il ramène vivante à son fils Manners ce qu’il a peut-être de plus précieux : son amie Denny morte noyée. Pourtant, cet acte ne fait qu’accentuer le sentiment d’abandon : si le père l’a ramenée, ce n’est sûrement pas pour son fils puisqu’il ne le reconnaît même pas, et qu’il va même jusqu’à déclarer devant lui à un autre de ses fils, adoptif qui plus est, qu’il est son préféré. Manners, bâillonné pendant toute la première partie du film, assiste impuissant au mépris que lui manifeste ce père tant aimé. Et comment pourrait il en être autrement puisque ce père est mort et qu’il a, en mourant, failli à ses obligations de chef de famille. Cela étant vu d’une façon plus émotionnelle que rationnelle. Pour la première fois, Guy Maddin aborde ses émotions de front. Même si, comme à l’accoutumée, l’expression prosaïque de la réalité personnelle et singulière ne l’intéresse pas, et qu’il place son expérience au sein d’une histoire plus universelle, privilégiant l’authenticité des émotions à celle des faits. Mais il n’a cette fois-ci pas situé son histoire dans un monde imaginaire.Ici, pas de conte, pas d’exubérance ni de décalage, pas de rires, mais un sentiment plus physique, plus sensuel. Les frontières sont toujours brouillées (passé/présent, rêve/réalité) mais il ne s’agit pas dans « Ulysse, souviens-toi ! » d’emmener le spectateur dans des fantasmagories lointaines ; au contraire, le film nous plonge au cœur de l’émotion humaine, dans ce qu’elle a de plus brut et de plus pur.Le film finit exactement de la même manière que Careful ou Winnipeg mon amour. Le fils, dans la fièvre, retrouve le cocon familial, entouré d’une mère et d’un père aimants, dans un environnement rassurant (la grotte de Tolzbad ou le nid familial à Winnipeg). Guy Maddin y fait alors ressentir la douce et profonde sensation de protection que peut éprouver un enfant bordé dans son lit par une froide nuit d’hiver
Entretien avec Guy Maddin
On retrouve dans « Ulysse, souviens-toi ! » beaucoup d’éléments présents dans vos films précédents, mais c’est en même temps une œuvre très différente en termes d’esthétique et de narration. Les avis peuvent diverger sur la question mais personnellement je ne pense pas avoir changé de style. J’ai simplement réalisé ce film comme il devait l’être. Je voulais travailler à partir des codes d’un genre. J’ai pensé aux films de gangsters, aux films de maisons hantées, et je me suis dit que les deux allaient bien ensemble. J’ai probablement rêvé de cette association, car je n’ai rien trouvé sur le sujet dans mes livres d’histoire. Le choix d’un genre hybride s’est fait très naturellement, d’autant plus qu’il incluait des fantômes, et que je me sens littéralement habité par mes propres fantômes. Je les aime tous, et ils me manqueraient s’ils venaient à disparaître. Vampyr de Carl Theodore Dreyer m’a aussi beaucoup apporté.C’est un film emblématique du genre « horreur », mais c’est surtout un film abstrait et poétique, qui plonge le spectateur dans une errance en songe et s’attache à des émotions déstabilisantes et inconfortables.
Comment avez-vous rencontré Jason Patric ? Qu’est-ce qui vous a donné envie de travailler avec lui ?J’ai rencontré Jason Patric en 2005, lors d’un petit festival qui projetait le film After Dark, My Sweet dans lequel il jouait. Je l’avais trouvé formidable en tant qu’acteur. Après la projection, nous sommes allés manger ensemble, et j’ai été frappé par l’intelligence et la lucidité dont il faisait preuve sur sa carrière, ses aspirations, ses déceptions et ses joies. Il était à la fois touchant et fort, un vrai mâle dominant ! Je savais que je voulais travailler avec un comédien qui puisse incarner un homme fort, qui fasse avancer l’intrigue, sans tomber dans la caricature d’un personnage psychopathe – quelqu’un qui sache ce qu’il veut, même s’il ignore où il est et qui il est. Je voulais aussi qu’il ait une âme moderne, et que son histoire, aussi agitée que ses pensées les plus profondes, se lise sur son visage impassible.
Vous avez déjà collaboré avec Isabella Rossellini en 2004, sur The Saddest Music in the World, et en 2006, sur Des trous dans la tête ! Avez-vous tout de suite pensé à elle pour le rôle de Hyacinth dans « Ulysse, souviens-toi ! » ? Oui, nous avions écrit ce rôle pour Isabella. Je ne voyais personne d’autre le jouer. J’imaginais une femme belle, matérialiste, ne craignant pas de révéler l’étrangeté et la laideur de nos émotions. Isabella navigue à merveille entre élégance extérieure et laideur ou beauté passagère de notre vérité intérieure.
C’est votre premier film entièrement tourné en numérique. Comment cela a-t-il influé votre relation à la caméra, aux acteurs, ou à la conception des décors… ? C’est en effet mon premier film entièrement tourné en numérique, et c’était passionnant. Les caméras numériques sont de petite taille, comme les caméras Super 8 que j’ai l’habitude d’utiliser. Elles sont faciles à porter et permettent d’absorber les images tel un aspirateur à main. L’écran de contrôle grâce auquel on peut voir exactement ce que l’on filme est aussi très pratique. Fini les heures d’angoisse, à attendre que la pellicule revienne du labo ! Seule la direction artistique a dû être abordée différemment, du fait de la résolution HD. Les détails sont forcément plus visibles. Il faut savoir que le détail est l’ennemi des films à petits budgets comme les miens. Je me suis toujours sorti d’affaire en créant des décors bon marché et en utilisant le grain de l’image pour estomper l’absence de détails. Pour ce film, je me devais d’être plus attentif aux détails, mais quand je n’obtenais pas un résultat satisfaisant, je devais en faire un choix artistique radical. J’aime cette impression d’entre-deux.
Pourquoi avoir choisi de reprendre une légende célèbre pour raconter l’histoire de votre héros ? Et pourquoi L’Odyssée ? Ces légendes sont séculaires pour une simple et bonne raison : elles trouveront toujours écho en nous et auprès des lecteurs qui les découvriront un jour, tant elles sont intemporelles et bien construites. Maintenant que j’ai atteint les 50 ans, j’ai assez de recul pour me rendre compte que le décès de mon père, à mes 21 ans, a constitué un moment clé de ma vie émotionnelle. Tel un diapason, sa mort a donné le ton de ma vie créative, de mes rêves. Je rêvais souvent de mon père, mais vivant. Il n’était pas mort, il nous avait abandonnés. J’ai entretenu une relation onirique avec ce qu’on appelle « un père défaillant à son obligation alimentaire », un homme qui abandonne ses enfants pendant plus de trente ans. Dans mon sommeil, je le suppliais de rentrer à la maison, de revenir auprès de son fils et de son épouse à qui il manquait terriblement. Mais dans ces rêves récurrents, il ne restait jamais plus d’une minute. Quand j’ai lu L’Odyssée, je me suis rendu compte qu’Homère racontait la même histoire, celle-là même que je vivais régulièrement en rêve. Son Ulysse n’a pas revu son épouse ni son fils depuis dix-neuf ans. Il fait tout pour rentrer chez lui, ou du moins, c’est ce que s’imaginent ses proches, mais personne ne sait s’il est encore en vie. Homère avait écrit ma biographie émotionnelle il y a des milliers d’années.
Quelle est la finalité de l’intrigue des gangsters ? Comment interagit-elle avec le récit principal ? Les gangsters sont des hommes d’action, de danger. Je voulais que le personnage de mon père soit comme ça. Dans la vraie vie, il était fonctionnaire dans le hockey. Il était nécessaire de le rendre plus universel, afin qu’il soit identifiable par tous. Ce n’est pas pour autant un film sur mon père. Sa présence dans mon processus de création s’apparente plus à un diapason, quelque chose qui tiendrait la note avec laquelle viendraient s’harmoniser tous les éléments du film.
Dans Winnipeg mon amour, vous revenez dans votre ville natale pour explorer les lieux de votre enfance ; vous reconstituez certaines scènes de votre vie avec des acteurs interprétant votre famille ; vous ranimez les fantômes de votre passé. Y a-t-il un lien entre ces deux films ? Je pense que les deux films répondent à un même besoin, cette envie irrésistible de retrouver mes fantômes, les personnes qui me manquent, celles que j’ai blessées, les objets égarés, le temps perdu… mais aussi à cette angoisse de ne pas avoir l’éternité devant soi pour pouvoir aimer infiniment des personnes et des choses !
Vous avez dit que le livre La Poétique de l’espace de Gaston Bachelard vous avait beaucoup inspiré pour « Ulysse, souviens-toi ! » Ce petit livre est la plus belle étude sur la phénoménologie de l’espace intérieur. Il décrit ce que chaque pièce, chaque recoin, chaque armoire d’un espace habité peut signifier pour les personnes qui y vivent, les sentiments qu’ils font naître en eux, et les souvenirs – ou plutôt les fantômes – qu’ils leur évoquent. En le lisant, je me suis dit que ce serait extraordinaire que quelqu’un l’adapte au cinéma. C’est peut-être un projet voué à l’échec, mais qui vaut la peine d’être tenté. Une prochaine fois, qui sait ? Pour ce film, j’ai choisi de déconstruire la maison pour la reconstruire en m’aidant de la structure d’une histoire tombée dans le domaine public. L’architecture de ce type de narration permettra peut-être au spectateur de s’immerger dans les rêveries de Bachelard tout en y trouvant un écho personnel. Ce livre m’a insufflé son ardeur communicative tout au long du tournage de « Ulysse, souviens-toi ! ». Il m’a plus envoûté que L’Odyssée, qui pourrait passer pour un film d’action face à l’intensité de la poétique de l’intérieur de Bachelard. Ainsi, j’ai réuni Homère et Bachelard, tout comme j’ai réuni des fantômes et des gangsters dans « Ulysse, souviens-toi ! ». Ils composaient les couleurs d’un drapeau qui flottait au-dessus de mon bureau, une alliance inattendue agissant tel un baume au cœur.