Film soutenu

Tu n’aimeras point

Haim Tabakman

Distribution : Haut et Court Distribution

Date de sortie : 02/09/2009

Israël/France/Allemagne – 2009 – Couleur – 1h30 – 35 mm – 1.85 – Dolby SRD

Aaron est un membre respecté de la communauté juive ultra-orthodoxe de Jérusalem. Marié à Rivka, il est le père dévoué de quatre enfants.
Cette vie en apparence solide et structurée va être bouleversée le jour où Aaron rencontre Ezri. Emporté et ému par ce bel étudiant de 22 ans, il se détache tout doucement de sa famille et de la vie de la communauté. Bientôt la culpabilité et les pressions exercées par son entourage le rattrapent, le forçant à faire un choix…

Un Certain Regard – Festival de Cannes 2009

Réalisation Haim Tabakman
Produit par Rafael Katz, David C. Barrot, Isabelle Attal Michael Eckelt
D’après une histoire originale de Merav Doster
Image Axel Schneppat
Montage Dov Steuer
Musique originale Nathaniel Mechaly
Décors Avi Fahima
Costumes Yam Brusilovsky
Son Gil Toren
Production exécutive Itai Tamir, Christian Vennefrohne
Casting Yael Aviv

Haim Tabakman

Né en 1975, Haim Tabakman, a fait ses études à l’Université de Tel Aviv dans le département Cinéma et Télévision.
En 2003, son premier court métrage, Free Loaders, est sélectionné au Festival de Cannes (Cinéfondation), et aux festivals de Karlovi Vary et de Montpellier.
En 2004, le court-métrage The Poet’s Home est de nouveau sélectionné parmi les films de la Cinéfondation au Festival de Cannes.
Haim Tabakman a été aussi le monteur de plusieurs films, dont My father, my Lord de David Volach.
Tu n’aimeras point  (Eyes Wide Open), sélectionné au dernier Festival de Cannes dans la section Un Certain Regard, est son premier long-métrage

Rédigé au XIIe siècle, Le Sefer Hamitzvot (« Livre des Prescriptions ») de Moïse Maïmonide est un ensemble de sentences trouvées dans la Torah, de façon à totaliser 613 « mitzvot » comme le veut la tradition rabbinique.

Haim Tabakman, parcours

Mitzvot 25. Ne pas suivre les caprices du cœur ou de ce qui s’offre à la vue des yeux.
Adolescent, j’étais passionné de musique. J’ai commencé par jouer de la basse dans plusieurs groupes de rock. Mais en Israël, on doit impérativement  rejoindre l’armée entre 18 et 20 ans. On a la sensation de devoir tout mettre en suspens pendant un laps de temps déterminé. C’est paradoxal : à l’âge où on a plein d’énergie, une curiosité débordante, on se retrouve dans une structure rigide et limitatrice de nos désirs.
Après mon service militaire, je me suis inscrit en cinéma à l’Université de Tel-Aviv. Je pensais devenir photographe et je me suis retrouvé, un peu par accident et surtout par nécessité, monteur.

Quand on est étudiants en cinéma, chacun travaille en même temps sur ses propres projets et ceux des autres… Je commençais avec un monteur et finalement je me retrouvais tout seul. J’ai donc appris le métier de monteur pour mes propres films. Puis j’ai monté des séries télé, des documentaires et le long-métrage de David Volach, My father, my Lord. En 2008, j’ai décidé de me consacrer entièrement à la réalisation de mon premier film.
Tu n’aimeras point est un projet qui a mûri et évolué pendant sept ans. Le premier scénario est de Merav Doster, un camarade d’Université. Peu de temps après ma sélection à la Cinéfondation au Festival de Cannes, le producteur, Rafael Katz, m’a proposé ce scénario. Nous avons entamé ensemble une longue période de réécriture à laquelle s’est associé le coproducteur français, David C. Barrot.

Cinéma et mise en scène
Mitzvot 31. Ne pas représenter de formes humaines, même dans un but décoratif. 

Le temps, la durée. La principale différence entre le divertissement et l’art repose sur le fait que le premier a pour but de faire passer le temps plus vite alors que le deuxième tente de redonner au temps toute sa densité.
En donnant de la valeur au temps, le cinéma permet de faire remonter en surface une conscience de ce qui se passe. Ça me fait penser à l’histoire de Catch 22, le roman de Joseph Heller, qui s’attarde sur des personnages assez ennuyeux.  J’aime cette façon de regarder la vie passer. Par exemple, je ne voulais pas couper la scène de la chambre froide où Aaron et Ezri s’embrassent pour la première fois. J’avais le sentiment qu’il fallait que le spectateur s’installe dans la durée pour éprouver l’inéluctable attirance mutuelle de ces deux êtres et dépasse un malaise premier. Cette séquence est importante car elle impose le tempo du reste du film.

Spectateur, point de vue et construction du plan. C’est fondamental que le spectateur ait un espace dans la narration pour pouvoir réfléchir et être partie prenante. J’ai évité les champs-contrechamps pour permettre au regard d’être plus contemplatif, plus libre. Je pense à la scène où Aaron et Ezri se retrouvent seuls devant  la boucherie. Un bus passe et dans un reflet on voit que, de l’autre trottoir, ils sont observés. Ce plan donne une idée assez précise de ce que c’est que vivre au sein de cette communauté, d’être surveillé en permanence. C’est un plan assez intuitif, j’avais envie que l’on ressente cette situation paradoxale qui tend tout le récit : des personnages terriblement seuls et, en même temps, dans l’impossibilité d’être véritablement seuls.

L’amour.  Mitzvot 13. Aimer les autres juifs. 
L’amour est la force la plus puissante qui existe. Mais parler d’amour peut être trompeur. L’amour est intangible, insaisissable. Je pense aussi que la croyance religieuse et l’amour sont intimement liés. Dans la chanson Hallelujah de Leonard Cohen, il dit : « Maybe there’s a God above, And all I ever learned from love, Was how to shoot at someone who outdrew you ». C’est un peu mystérieux mais révélateur de ce que je veux dire. Je pense que la possibilité de croire en Dieu  et celle d’aimer viennent d’une même source. Quelqu’un qui ne croit pas en l’amour peut en parler comme d’une fantaisie ; de même, quelqu’un qui n’a jamais vécu le sentiment religieux peut penser qu’il s’agit d’une fable de l’esprit. L’amour peut ressembler à une épiphanie. Quand on le cherche, on se rend compte qu’il est hors de notre portée. De même qu’un sentiment religieux très intense, l’amour a la capacité de nous faire réaliser des choses extrêmes. Mes personnages éprouvent une véritable souffrance face à l’amour. Aaron, bien sûr, car il délaisse sa femme et s’en veut. Ezri, parce que les gens dont il tombe amoureux ne peuvent pas partager leur vie avec lui.
Pour l’un comme pour l’autre, la relation avec Dieu a commencé quand ils étaient très jeunes. C’est là que l’amour et la croyance se retrouvent : ils sont dans une relation à très long terme avec Dieu et il se passe exactement la même chose que dans n’importe quelle relation. Après un certain temps, il peut naître beaucoup d’amertume, de frustration. Cependant, dès qu’ils songent à la séparation, ils réalisent à quel point cette relation est indispensable pour eux.

La femme, le mariage.
Mitzvot 133. Il ne sera jamais permis à l’homme de divorcer de sa femme. 

Dans la communauté juive, la femme a un rôle central. Je dirais même que c’est le plus important. C’est elle qui maintient la famille unie et veille sur tout le monde. Aucun homme n’est complet sans une femme. Le judaïsme est déterminé par la femme : si la mère est juive, indépendamment du père, l’enfant sera lui aussi juif.
Dans le film, j’essaye de montrer que Aaron et Rivka sont unis pour la vie. Tous deux doivent faire des sacrifices pour l’équilibre de la structure sociale. Ils sont conscients des concessions qu’ils réalisent et de la souffrance qu’ils éprouvent. Par ailleurs, il est important de comprendre que l’amour entre Aaron et sa femme est d’une nature différente de celui qu’il éprouve pour Ezri. Le mariage fait que la dimension érotique s’estompe, c’est avant tout un engagement sentimental très profond, éternel. Le moment de grâce de Rivka vient, je crois, quand elle réalise ce qui se passe et réussit à le contrôler. Elle ne panique pas du tout. C’est très douloureux, mais au fond elle sait qu’Aaron ne peut pas la quitter. Elle sait aussi qu’il a des valeurs plus élevées, qu’il est autant victime de la situation qu’elle. Il n’y a pas de gagnant et de perdant dans cette histoire. Ils perdent tous les deux, mais de façon différente. C’est aussi ça de vivre conformément aux règles du judaïsme orthodoxe : à la fin de la journée, il y a une raison pour toutes les souffrances. Et c’est cela qui lui donne la force de surmonter la situation. Quand on croit en Dieu, on reste optimistes. D’une façon ou d’une autre, tout fait sens.

L’homosexualité.
Mitzvot 157. Ne pas avoir de relations homosexuelles. 

Avoir des relations sexuelles avec une personne du même sexe, c’est une chose. Mais dans le monde orthodoxe, il faut savoir que l’homosexualité n’existe pas. Elle n’est pas reconnue comme étant une possibilité. Tu n’aimeras point est donc en quelque sorte un film de science-fiction. Une aventure sexuelle peut être pardonnée. Il est possible de revenir en arrière, de se repentir. Dans le Talmud il est écrit que les fils d’Israël ne sont pas soupçonnés de dormir avec d’autres hommes. On peut faire des choses un peu folles, victime d’un trouble psychologique temporaire ou parce que des « forces du mal » ont envahi l’esprit, mais cela ne fait pas partie de l’essence de l’homme tel que le judaïsme le conçoit. Il n’y a pas de discussion possible. Il n’y a pas de place pour ce type d’orientation sexuelle, point. Vivre à l’intérieur d’une communauté juive orthodoxe, c’est être dans un cadre très strict. Partout,  même dans le cinéma, on a besoin d’un cadre pour faire sens. Dans la vie de cette communauté, ils ont besoin de règles précises qui établissent les limites et le sens de la vie. Les Mitzvot couvrent presque tout : chaque petit geste quotidien a pour but de contribuer à l’œuvre divine. Quand on se retrouve hors du cadre alors que l’on a grandi à l’intérieur, on perd le sens de la vie. Et cela explique pourquoi c’est un sujet si douloureux et tellement problématique.

La viande, la chair, le corps.
Mitzvot 188. Ne pas manger la viande d’un animal qui n’a pas été tué par abattage rituel. 

Le rôle du boucher est de rendre quelque chose d’impur – la viande – sacré. C’est un homme dont le métier est de traiter avec la chair. La façon dont il coupe la viande est assez violente, et c’est assez proche de la façon dont il coupe ses propres sentiments et désirs. Le problème vient du fait que la religion ne reconnaît pas les besoins de la chair. La seule chose qui est prescrite est de satisfaire son épouse. Dans le Talmud, il y a un passage qui indique que la personne ne pouvant pas contrôler ses désirs doit aller dans une ville étrangère, faire ce qu’il a à faire et revenir ensuite dans sa ville, purifié. La religion juive ignore non seulement les besoins du corps, mais aussi la faiblesse de la nature humaine. Ceci dit, petit à petit, Aaron devient incapable de gérer son rapport à la chair. La scène qui représente le mieux cette idée est celle où l’on voit Aaron et Ezri porter ensemble le demi bœuf. La viande est trop lourde pour être portée par un seul. Ils vont la porter ensemble, mais juste un moment, le temps de la mettre dans la chambre froide. C’est une option qui n’est pas une option, le conflit est trop lourd.

Religion, communauté et ségrégation.
Mitzvot 326. Éloigner les gens impurs du Temple. 

C’est très paradoxal. D’une part, la communauté est une sorte d’acteur collectif qui a un regard sévère et constant sur les autres. D’autre part, toute la force de cette société repose sur le sentiment de pureté, de solidarité et sur la possibilité de rester à l’abri des excès du monde moderne. La radicalisation des Orthodoxes trouve son origine dans une réaction aux progrès du Siècle des Lumières. La volonté d’éviter la sécularisation des Juifs est donc née à cette époque. Il ne fallait pas que la communauté se sente séduite pas les idées progressistes. Le mouvement orthodoxe commence comme une réaction, et c’est là que ça s’extrémise. Cette radicalisation on la sent dans le film, l’espace est clos, presque claustrophobe. Il n’y a que deux espaces de liberté, le lac, et dans une moindre mesure, la terrasse. La réaction au progrès cohabite avec la préservation de quelque chose de foncièrement humain, de très noble : le souci de l’autre. Ce sont les deux faces de cette société dans laquelle, au bout du compte, on n’est jamais seul. Si quelqu’un est malade et n’a pas d’argent, la communauté le prendra en charge. Si quelqu’un a des problèmes, le Rabbin sera toujours là pour l’écouter et l’aider.
Les kibboutzim sont un exemple très intéressant de la façon dont est structurée la société israélienne. Ce sont un peu des villages communistes. Aujourd’hui le mouvement des kibboutzim a été très affaibli. Mais, paradoxalement, les Orthodoxes sont de plus en plus nombreux et bénéficient d’un soutien financier très important de l’Etat. Le film adopte un point de vue respectueux, qui vise à prendre connaissance du fonctionnement intime de cette société.
Par moments, Aaron persiste dans sa voie, ferme les yeux et ne veut pas accepter les avertissements de la communauté. C’est là que commencent ses problèmes. Au début, il poursuit son désir presque comme un autiste. Il ne réfléchit pas, il laisse les choses se passer.

Le désir scindé.
Mitzvot 10. Ne pas mettre indûment le prophète à l’épreuve. 

Je ne suis pas sûr de savoir quelles sont les raisons exactes qui poussent Aaron à retourner se baigner dans le lac. A la fin du récit, on retrouve le conflit qui hante tout le film. On pourrait penser qu’il est plus libre. Mais en même temps, il se retrouve d’autant plus prisonnier de la société dans laquelle il vit.
Je crois que la scène du lac fonctionne comme une « métaphore » de purification. Se baigner peut permettre à Aaron de s’affranchir des paradigmes juifs orthodoxes, mais ça ne peut pas durer longtemps. Sans ses codes, il se sent comme un être a la dérive, seul avec son corps imparfait. Souvent dans la vie on se retrouve coincés entre deux choses qui sont très importantes pour nous et il est difficile de choisir. Je crois que dans une société qui essaye de comprendre et d’aider tout le monde, il y a toujours une victime. 
Je n’aime pas les films qui donnent des réponses. J’essaye plutôt de poser des questions. Cette fin est donc peut être une renaissance, un nouveau début ou juste la mort.  Je laisse le spectateur en décider.