Film soutenu

Toute une nuit sans savoir

Payal Kapadia

Distribution : Norte Distribution

Date de sortie : 13/04/2022

France- Inde / 1h37 - 1:33:1 / Mono / Couleur, Noir & Blanc - DCP

Quelque part en Inde, une étudiante en cinéma écrit des lettres à l’amoureux dont elle a été séparée. A sa voix se mêlent des images, fragments récoltés au gré de moments de vie, de fêtes et de manifestations qui racontent un monde assombri par des changements radicaux. Le film nous entraine dans les peurs, les désirs, les souvenirs d’une jeunesse en révolte, éprise de liberté.

Quinzaine des réalisateurs 2021 – Œil d’or du meilleur documentaire Cannes 2021 / Festival les écrans documentaires 2021 – Film d’ouverture / Festival Entrevues Belfort 2021 – cinéma et histoire / Festival des 3 continents Nantes 2021- Sélection officielle, séances spéciales ,/ FID Marseille 2021 – Film de Clôture / Toronto International FF 2021 – Wavelengths – Amplify Voices Award

Réalisation Payal Kapadia • Scénario Payal Kapadia, Himanshu Prajapati • Image Ranabir Das • Montage Son Moinak Bose • Mixage Romain Ozanne • Montage Ranabir Das • Dessins Suranjay Mondal • Production Petit Chaos, Another Birth • Produit par Thomas Hakim, Julien Graff, Ranabir Das • Lettres de «L» lues par Bhumisuta Das • Une production Petit Chaos, Another Birth • Avec le soutien de la région Nouvelle Aquitaine, de la région Centre-Val de Loire, en partenariat avec le centre National du cinéma et de l’image animée • Avec le soutien du programme documentaire du Sundance Film Institute et de l’IDFA Bertha Fund

Payal Kapadia

Payal Kapadia est une artiste et une réalisatrice originaire de Mumbai. Elle a étudié la réalisation à l’Institut indien du cinéma et de la télévision (FTII). Ses courts métrages Afternoon Clouds et And What Is The Summer Saying ont été respectivement présentés en première à la Cinéfondation et à la Berlinale. Elle est également une ancienne pensionnaire de Berlinale Talents et a participé en 2019 à la Cinéfondation – Résidence du Festival de Cannes.
Son premier long-métrage Toute une nuit sans savoir a été sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs, Cannes 2021 où il a remporté le prix de l’Œl d’or du meilleur documentaire. Son prochain projet, All We Imagine As Light – actuellement en cours de développement -, a reçu le soutien de CICLIC, du fonds Hubert Bals et le PJLF Arts Fund.

INVITATION À LA PROGRAMMATION

Pour son premier film Toute une nuit sans savoir la cinéaste indienne Payal Kapadia nous offre une œuvre magistrale.
L’utilisation des lettres intimes d’une étudiante à son amour dont elle est séparée est un point de départ qui permet à la réalisatrice de livrer un portrait édifiant de l’Inde contemporaine.
Tant sur le travail de l’image que sur la construction de son récit Payal Kapadia fait déjà preuve d’une très grande maîtrise du cinéma.
Avec une telle première œuvre, on ne peut qu’être impatient de découvrir les prochains films de cette cinéaste.
Antoine TILLARD
– Responsable, programmateur – Cinéma Le Méliès à Villeneuve d’Ascq


ENTRETIEN AVEC PAYAL KAPADIA

Comment ce film est-il né ?
Nous avons commencé à filmer en 2017. Ranabir et moi-même avons commencé à filmer, à documenter la vie autour de nous et donc celle de nos amis. Au fil des années, nous avons beaucoup tourné – fêtes, anniversaires, ou simplement de longues siestes d’après-midi. Nous n’étions pas toujours sûrs de ce que nous faisions, mais comme il s’agissait de personnes que nous connaissions bien, le processus de prise de vue avait quelque chose d’intime, de décontracté.
Un certain temps a passé et nous n’avions toujours pas de réelle idée de ce que deviendrait ces images, si cela donnerait un film. Tout ce que nous avions, c’était les souvenirs collectés avec notre caméra et notre enregistreur sonore de location. À travers ces documents et les témoignages de nos amis, leurs rêves, leurs souvenirs, leurs anxiétés, un tableau d’une partie de la jeunesse indienne a commencé à émerger. Lorsque nous avons commencé à monter quelques séquences, certains de nos amis nous ont alors donné des images qu’ils avaient tournées dans d’autres universités du pays. Ils avaient tous une nécessité de documenter l’instant, cette somme d’instantanés, et comme nous ils ne savaient pas vraiment ce qu’ils comptaient faire de ces images ensuite. Nous avons commencé à avoir de plus en plus de séquences de ce type – des rushes empruntés à des amis, de vieilles archives familiales et des vidéos virales sur Internet.
Les images que nous avions collectées sont devenues des archives de souvenirs qui ne cessaient de s’accumuler des souvenirs d’une époque que nous avions vécue et dont nous avions été témoins. Bientôt, même les séquences que nous avions tournées ont commencé à donner l’impression d’avoir été « trouvées », peut-être comme une capsule temporelle de notre propre passé. Nous avons commencé à élaborer une narration pour relier toutes ces images apparemment sans rapport.

Comment avez-vous écrit la voix off ? S’agit-il de lettres que vous avez trouvées et adaptées ? Est-ce un mélange de plusieurs voix, dont la vôtre ?
Les lettres ont été écrites par mon coscénariste Himanshu Prajapati et moi-même. Elle sont inspirées d’ interviews que nous avions donnés au début du tournage et par nos expériences personnelles. Le récit que nous avons choisi comme ligne directrice est l’histoire d’amour que l’on entend. En Inde, l’amour est souvent marqué par les différences de castes, de classes et de religions. Le film trouve sa forme dans les lettres écrites par une jeune étudiante à son amant absent. Ils ont été séparés par les parents de ce dernier qui n’approuvaient pas leur relation. À travers ces lettres qui s’étalent sur plusieurs années, nous avons eu l’idée de mettre en scène une partie de la jeunesse, prise dans des interrogations personnelles et des luttes sociales plus larges, une jeunesse qui fait face aux changements drastiques qui ont lieu autour d’elle. Les autres voix du film ont été trouvées ou enregistrées au fil des années.

Le film est composé d’une infinité de fragments filmiques, qui semblent être des ,images d’archives, des images tournées par vous, des images trouvées. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette esthétique du fragment et ce qu’elle évoque chez vous ?
Nous souhaitions parvenir à créer ce que l’on pourrait appeler des archives du souvenir, des images à la fois familières et étrangères. Certaines des images que l’on voit dans le film sont très connues en Inde. Nous voulions parvenir à créer une forme qui permettrait à ces images de faire naitre un sentiment d’immédiateté et d’horreur chez n’importe quel spectateur, que l’on ressente ce même sentiment qu’elles ont suscité chez nous la première fois que nous les avons découvertes – je parle des images de grande violence que l’on retrouve plusieurs fois dans le film.
Toute une nuit sans savoir s’étend sur cinq années, mais le film n’est pas nécessairement chronologique. Les événements et les moments se présentent sous forme de fragments temporel. C’est peut-être la raison pour laquelle nous avons choisi le titre A night of kwowing nothing (Toute une nuit sans savoir), l’histoire d’une longue nuit imprévisible, où nous ne savons pas à quoi nous attendre. Le titre a été «trouvé» sur les murs d’une université, griffonné par un poète inconnu sous une lampe à néon, vacillante. Le film utilise une forme cotonneuse, des images granuleuses en noir et blanc qui créent un sentiment de nostalgie. Mais il ne s’agit pas d’une nostalgie du passé, car nous ne croyons nullement que le passé était mieux. Il s’agit d’une nostalgie du présent – notre époque qui force beaucoup d’entre nous à réagir aux éléments qui nous entourent. C’est peut-être une nostalgie de l’idée romantique d’être jeune et consciencieux – de lutter pour une société plus juste et plus égalitaire.

Le film pose la question des liens entre la politique et le cinéma, quel sens a le cinéma s’il n’est pas politique ? où vous situez-vous sur cette question aujourd’hui ?
Je crois que tout cinéma est politique. Le cinéma n’a pas nécessairement besoin d’être de la propagande pour se découvrir politique. On parle ici de position claire sur l’échiquier politique. En fait, cette position est tout à fait synchrone avec la forme du film. La façon dont vous choisissez de monter, de cadrer, de mettre en scène… tous ces choix découlent de la position politique de chacun. Depuis le tout début du cinéma, nous avons appris sa puissance politique à travers des cinéastes comme Eisenstein. Bien sûr, dans ses films, la prise de position était limpide, cependant, même un film populaire hollywoodien a des positions politiques inhérentes, il propage une certaine idéologie politique tout en ignorant les autres, qu’il le fasse consciemment ou non.


Quelques précisions et contextualisations du film

FTII – Film and Television Institute of India
Le FTII est la principale école de cinéma et de télévision en Inde. Elle forme des acteurs et des réalisateurs et est basée à Pune, située à environ 104 km de Mumbai.
De 2015 à 2017, le directeur de l’école est Gajendra Chauhan. Il a été nommé président de l’école par le nouveau gouvernement Indien issu du parti BJP. Cette mise au pouvoir a provoqué des grèves étudiantes qui dénoncent son affiliation au BJP et son soutien à l’organisation nationaliste hindoue.
Les controverses et l’opposition des étudiants de la FTII le pousse à démissionner en Octobre 2017.

BJP – Bharatiya Janayata Party
La BJP est un des deux principaux partis politiques Indien.
Crée en 1980, la BJP est un parti de droite nationaliste hindou, il est considéré comme l’aile politique du Rashtriya Swayamsevak
Sangh (RSS), un groupe paramilitaire crée en 1925 par des extrémistes hindous pour combattre le séparatisme musulman.
Le RSS est toujours très actif aujourd’hui en contrôlant les association caritatives.
La BJP prône le hindoutva (= idéologie suprémaciste hindou). C’est le parti de Narendra Modi.

Narendra Modi
Narendra Modi est l’actuel premier ministre de l’Inde. Il dirige le pays depuis 2014.
Modi est un ultra-nationaliste hindou qui prône la supériorité de sa religion sur les autres. Sa politique est qualifié de nationaliste,
anti-musulman et xénophobe.
Élu une première fois en 2014 grâce à des promesses de réformes économiques qui lui donne une large victoire, il est triomphalement
réélu en 2019. Depuis sa réélection, il encourage la discrimination systémique contre les musulmans au niveau national et dans les états gouvernés par BJP ( constructions d’un temple sur le site d’une mosquée; suppression de l’autonomie attribué par a constitution à la région du cachemire, seul état indien a majorité musulmane, d’après la BJP, il s’agit d’une « entreprise de reconquête ».

L’Inde est touchée par de fortes inégalités. Ces inégalités sont ancrées par le système des castes qui hiérarchise la société Indienne.
Les Brammanes se situent au sommet de l’échelle et les Dalits (ou Intouchables), au bas de l’échelle.