Film soutenu

Relaxe

Audrey Ginestet

Distribution : Norte Distribution

Date de sortie : 05/04/2023

France - 2022 - 1h32 - 1.85 - 5.1

Cela fait dix ans que Manon est inculpée dans «l’affaire Tarnac», accusée avec huit autres personnes d’avoir participé à une entreprise terroriste pour des sabotages sur des lignes TGV. À l’approche du procès, je prends ma caméra et rejoins le groupe de femmes qui aide Manon à préparer sa défense.

Cinéma du Réel 2022 – Compétition, Sélection Française – Prix Loridan-Ivens – Cnap
Festival Corsica Doc 2022 – Compétition Nouveaux TalentsPrix du Jury Long Métrage
Écrans du Réel 2022 – Compétition Premier DocMention Spéciale

Écrit et réalisé par Audrey Ginestet • Produit par Marie Dubas • Montage image Penda Houzangbe, Marie Beaune, Julie Brenta, Christophe Dauder • Montage son Audrey Ginestet • Mixage Rémi Gerard • Musique originale composée et interprétée par Benjamin Glibert • Images additionnelles Amic Bedel • Prise de son additionnelles Hélène Magne

Audrey Ginestet

Après avoir étudié la sociologie et le cinéma, Audrey Ginestet devient opératrice du son, monteuse son et mixeuse pour de nombreuses productions pour la radio, la télévision et le cinéma.
Elle réalise deux courts-métrages, DOKONAN (2004) et SPRING YES YES YES (2012), ainsi qu’une websérie documentaire, AUDIOSTORIES (2016).
RELAXE est son premier long-métrage.
En parallèle, Audrey est bassiste au sein du groupe Aquaserge qui signe en 2021 son septième album.


ENTRETIEN AVEC AUDREY GINESTET

Quand avez-vous décidé de consacrer un film à l’ « Affaire de Tarnac » ?

Quand j’ai vu la manière dont elle était traitée immédiatement après son déclenchement, j’ai été choquée par l’emballement médiatique qui, parfois jusqu’à la diffamation, faisaient de mes connaissances des terroristes et de mauvaises caricatures de révolutionnaires. J’ai tout de suite pensé que j’étais au bon endroit, à la bonne distance pour raconter de l’intérieur ce qu’ils vivaient et qui n’avait à peu près rien de commun avec ce qui était exhibé.
J’ai compris qu’un des principaux champs de bataille de cette histoire concernait les mots. Les mots qui les accusent, « groupe à vocation terroriste, association de malfaiteurs, sabotage, manifestations violentes… » il y avait également les mots qu’ils sont accusés d’avoir écrits (L’insurrection qui vient, signé du comité invisible, éd. La Fabrique), les mots avec lesquels ils et elles vont être capables de reformuler la situation, de se défendre et aussi les mots qu’ils ne disent pas.

En quoi étiez-vous « au bon endroit » et à la « bonne distance » ? Dans le film, vous mentionnez votre lien personnel avec Manon, qui est donc la soeur de votre compagnon, mais c’est la seule information concernant votre relation avec l’ensemble de l’affaire et ses protagonistes.

Le bon endroit vient de mon lien avec Manon. Nous nous faisons confiance l’une l’autre et je dirai que c’est sur cette confiance que le film repose. 
J’ai cherché le bon endroit compte tenu de la gravité de ce qu’ils traversaient. Certains des inculpés risquaient jusqu’à 10 ans de prison. Eux et leur entourage ont été suivis, mis sur écoute par la police pendant de nombreuses années. Je ne voulais pas que ma caméra puisse être ressentie comme intrusive, indiscrète ou qu’elle apporte une quelconque gêne dans ce moment délicat qu’était la préparation au procès. 
J’avais par ailleurs décidé d’emblée d’écarter du film la question de leur culpabilité – question qui occupait la police, la justice et les médias – et c’est la raison pour laquelle j’ai voulu formuler le verdict dans le titre du film.
Durant les 10 ans qu’ont duré l’instruction, les inculpés ont fait en sorte de contrôler leurs apparitions afin d’apparaître aussi peu que possible dans les médias et uniquement pour les besoins de la défense. Bien que mon lien intime avec certains d’entre eux apparaisse dans le film, j’ai cherché à me tenir à la distance qui respectait leur attitude propre, leurs choix vis à vis de la représentation de l’affaire.

Pouvez-vous préciser ce que vous cherchiez à faire avec un film dans la situation créée par les arrestations et les mises en examen ?

Les arrestations puis les mises en détention provisoire qui ont suivi ont fait un tel bruit que lorsque les mis en examens ont été libérés, nombreux sont ceux qui ont pensé que l’affaire était terminée. Alors que tout cela ne faisait que commencer. On a tendance à penser que la peine c’est le verdict, la prison etc… dans ce cas précis et sûrement ailleurs, c’est aussi et surtout l’instruction, menée exclusivement à charge et les 10 ans qu’aura duré l’affaire.
Mais pour revenir au processus qui précède le tournage, je me suis intéressée de près à la défense collective qu’ont mené les inculpés (ils étaient 9 au départ) dès qu’ils ont pu sortir de prison en 2009. Ils ont entrepris de communiquer aux media les failles de l’enquête, ce qui s’est révélé payant car, très vite, la presse a changé de discours à leur endroit. En 2017, ils réussissent à faire tomber définitivement les charges terroristes qui pèsent sur eux, et apprennent qu’un procès va bientôt avoir lieu. Manon m’informe alors que des répétitions sont prévues avec son avocat. Je décide de filmer cela. Finalement ces répétitions n’ont pas lieu et je me rends à Tarnac pour filmer le groupe de défense autour de Manon, puis je propose à Manon, Benjamin et Yidlune, d’organiser une répétition filmée (qui aura lieu deux semaines avant le procès). À l’image, je souhaitais quelque chose de sobre car il fallait éviter le plus possible que cela fasse « vrai tribunal. » Dans ce dispositif, je souhaitais qu’ils puissent tester et éprouver chacun(e) à sa manière, mais ensemble, leur défense politique – défense qui bien sûr comportait des risques.

Une des singularités du film est de ne pas suivre la dramaturgie classique pour évoquer ce genre de situation, avec, face à la manipulation politico-policière relayée par les médias officiels, une mobilisation des soutiens, le travail des avocats, etc.

Je voulais éviter de simplifier l’affaire pour les besoins du récit. C’est aussi pour cela qu’il y a des registres d’images différents : j’ai tenté de rendre apparent le fait qu’il y a des zones d’ombres, des choses dont le film ne se préoccupe pas. Sans pour autant perdre le spectateur, je souhaitais lui faire sentir que cette affaire le dépasse, tout comme elle me dépasse et dépasse également les protagonistes du film.

J’aimerai que vous parliez plus précisément de ce dispositif central dans le déroulement du film, les répétitions, le  «pré-enactment » des audiences à venir.

Je m’interroge encore aujourd’hui sur le statut de ces séquences particulières dont le sens et la fonction ont bougé avec le montage. Je ne pense pas que j’aurais filmé les audiences si j’avais pu le faire (il faut rappeler qu’en France les audiences, à de rares exceptions près, ne peuvent être filmées) car c’étaient les préparations qui m’intéressaient, pas le show. Aussi, je pressentais que le tribunal ne serait pas le lieu du procès politique tant attendu. La juge a soigneusement évité de s’aventurer sur ce terrain pour s’en tenir prétendument aux faits. Avec le temps, j’ai découvert que les séquences de répétitions que j’avais filmées étaient le lieu d’une toute autre parole : vraie, sincère, avec des émotions spontanées, qui est l’antithèse de ce qui s’est passé au tribunal.
J’espère que le film permet aux convictions politiques de devenir sensibles, audibles, de prendre chair. 

Tout ce travail effectué par les inculpé(e)s sur les documents judiciaires, sur les mots, sur les attitudes à avoir, est très éloigné de ce qu’on considère comme le fonctionnement normal de la justice, en particulier du côté de la défense.

C’est également ce que m’ont dit des avocats en voyant le film : il montre l’appropriation du dossier d’instruction par les accusés eux-mêmes. Pour avoir suivi de près tous les rebondissements de cette affaire, je peux dire que la relaxe provient de cette appropriation – légalement réservée aux professionnels de la défense – par les inculpés.

Pourquoi Manon est-elle devenue le personnage central ?

Pour plusieurs raisons. J’ai vite découvert en la filmant, qu’il se passait quelque chose entre ma caméra et elle, comme une vibration, un courant qui passe et qui peut toucher les spectateurs. 
Durant les 10 ans de l’affaire, Manon n’a fait aucune apparition médiatique, elle est restée en deuxième ligne, mais le moment du procès l’oblige à s’exposer et à redéfinir sa défense. C’est ce qui m’intéressait. Aussi, Manon tenait à ce que soient gardées des traces de ce combat afin que cela puisse servir à d’autres qui sont engagés dans des luttes semblables. C’est la raison pour laquelle elle a consentie à être filmée et a trouvé le courage de se montrer dans des moments de grande vulnérabilité. 

Quelle est la première séquence que vous ayez tournée ?

Elle n’est pas dans le film. Mais c’est cette séquence qui a fait naître le dispositif central du « faux procès ». La première fois que je filme Manon, c’est lors d’une réunion de préparation de sa défense à Tarnac où elle fait sa première tentative de déclaration, improvisée, à l’oral, devant son groupe de soutien. Nous avions bricolé un petit dispositif avec un pied de micro, moi derrière une caméra, et deux amies qui faisaient les juges, qui convoquaient l’accusée, tentaient de lui poser des questions, etc. J’ai senti que ma caméra pouvait aider, qu’elle provoquait une certaine écoute, une attention chez toutes les personnes présentes dans la pièce. Elle nous donnait le pouvoir de nous projeter avec tout le solennel et le sérieux nécessaires pour répéter les futures audiences.
À ce moment-là, Manon décide de préparer une déclaration qu’elle lira au procès et établit qu’elle ne répondra pas aux questions des juges – ce qui ne me rassure pas du tout. Ma caméra, c’est aussi une caméra grigri, une caméra de protection, c’est de cette façon que je prends part à la réflexion collective autour de l’écriture du texte qu’elle lira lors de son procès. Manon est une femme pragmatique qui n’a pas pour habitude de verbaliser ce qu’elle vit. La déclaration qu’elle choisit de faire est à la fois un système de protection vis à vis des juges et une prise de risque. C’est entre autres parce qu’elle est prise dans cette tension, au beau milieu d’une affaire dans laquelle les mots font tout, dressent un portrait, constituent un préjudice, que Manon fait un bon personnage.

Mais le film est loin de ne montrer que cela, il donne accès à de nombreuses situations de la vie quotidienne à Tarnac.

C’était une manière de répondre à une accusation très forte – même si elle ne figurait pas en tant que telle dans les chefs d’inculpation – relative à la façon dont les personnes incriminées ont choisi de conduire leur vie. Il me semblait important non pas de chercher à les innocenter mais de montrer sur quelles vies, quels mondes, quels paysages l’accusation avait été portée. Manon n’a rien d’une figure stéréotypée de révolutionnaire ou d’intellectuelle, elle est toute entière dans la vie qu’elle a choisie : avec les enfants du village, avec ses amis, avec les réfugiés qu’elle accueille, à l’épicerie, à la ferme, ou sur scène comme musicienne… 
En somme son engagement politique est profond et incarné dans toutes les choses qu’elle fait, c’est ce qui la rend cinégénique.

Cette reformulation du sens des actes et des réflexions depuis des pratiques quotidiennes est au fond le véritable enjeu du film ?

Oui, ce n’est pas un film dossier sur le procès ni sur Tarnac en général, et ce n’est pas non plus la belle et triste histoire de Manon. Cette situation et ces personnes permettent d’approcher d’une manière que j’espère non simplificatrice ce que cela signifie de chercher à construire une existence en dehors des impératifs dominants, de chercher des pratiques quotidiennes qui ouvrent sur d’autres possibles. Mais cela prend un sens et une tension particuliers dans le contexte de la construction de la réponse à une attaque frontale et brutale des forces policières, politiques et médiatiques et en ne disposant pas du soutien de défenseurs sur lesquels on aurait cru pouvoir compter. 
J’espère que Relaxe incite à réfléchir aux choix de vie de tout un chacun et à leurs conséquences.

Le film tel qu’il existe résulte d’un long processus ?

Oui, j’ai beaucoup réfléchi avant, mené des entretiens avec les inculpés, beaucoup lu. Lorsque le tournage a commencé, j’avais un cahier avec un très grand nombre d’éléments qu’il me semblait importants de voir figurer dans le film. Encore fallait-il qu’il se produise quelque chose qui, en termes de rapports humains, d’émotions, de significations suggérées, advienne effectivement.
Et, de manière un peu miraculeuse, ce que j’avais espéré pouvoir capter à un moment ou à un autre se trouvait dans les rushes. Par exemple la scène du petit-déjeuner où il est question de la solitude de Manon, je l’avais souhaitée, mais je n’ai rien fabriqué. Cette préparation m’a permis d’anticiper d’où je devrais filmer et surtout de déterminer ce qui dans cette vaste affaire ne m’intéressait pas. Le montage a été assez long car il s’agissait de trouver le juste dosage des éléments très différents qui composent le film.

Comment le film a-t-il été produit ?

Mon idée était d’y aller seule. Mais pendant la phase de préparation, une productrice que je ne connaissais pas, Marie Dubas de la société Deuxième Ligne, m’a contactée. Elle connaissait l’affaire car elle avait eu entre les mains un projet de fiction qui n’a pas abouti. Assez vite, j’ai compris que nous étions sur la même longueur d’ondes. Elle a souhaité accompagner ce que je m’apprêtais à faire, alors que rien n’était filmé. D’une certaine façon, je dirais que c’est elle qui a lancé le film, dans un premier temps en me fournissant la caméra dont j’avais besoin, et dans un deuxième temps, par son implication dans l’écriture des dossiers de financement, dans le montage, jusqu’aux dernières étapes de la post-production.

Vous avez tourné entièrement seule ?

Dans la majorité des cas oui, j’ai fait l’image et le son. Il y a une preneuse de son (qui est filmée d’ailleurs) sur les séquences de discussion entre femmes et une équipe de tournage sur les séquences du « faux procès ». La prise de son et le travail en auditorium font partie de mes activités professionnelles habituelles.

La musique, qui est une pratique commune à Manon et vous, apparaît à plusieurs moments.

J’avais même envisagé qu’on voie des images d’un concert, cela fait partie de la vie de Manon, mais j’ai choisi de ne pas en mettre: Relaxe est un film sur les coulisses, la préparation à…  La préparation au procès, la préparation d’un réfugié pour sa demande d’asile, la préparation de l’anniversaire et, donc, la préparation d’un concert, où l’on ne voit que le soundcheck. La musique a été entièrement composée et interprétée par Benjamin Glibert, mon compagnon. Je lui ai demandé de composer des musiques qui soulignent la venue des différents registres d’images dans le film : musique qui annonce le faux procès, musique qui accompagne les rituels et donne du courage, ou musique pour introduire ma voix off.

Propos recueillis par Jean-Michel Frodon.

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