Film recommandé

ON FALLING

Laura Carreira

Distribution : Survivance

Date de sortie : 29/10/2025

Royaume-Uni, Portugal | 2024 | 1h44

Aurora, immigrée portugaise à Edimbourg, est préparatrice de commandes dans un entrepôt où son temps est chronométré. Au bord de l’abîme, celui de la paupérisation et de l’aliénation, elle se saisit de toutes les occasions pour ne pas tomber.

San Sebastián International Film Festival 2024 – Silver Shell for Best Director / Thessaloniki Film Festival 2024 – Prix de la meilleure interprétation féminine

Avec Joana Santos (Aurora), Inês Vaz (Vera), Piotr Sikora (Kris), Neil Leiper (Ben), Jake McGarry (Alec), Itxaso Moreno (Teresa), Leah MacRae (Anne), Billy Mack (Jim), Deborah Arnott (Sarah), Paul Donnelly (Lewis), Ola Forman (Krysia), Ross Ian-Martin (Tom), Daniel McGuire (Sean), Liam Nelson (Ryan), Helen Robinson (Sam), Robert Rutonic (Viktor)

Scénario Laura Carreira | Images Karl Kürten | Montage Helle le Fevre | Ingénieur du son Olivier Blanc | Directeur artistique David Jennings | Décors Andy Drummond | 1er assistant réalisateur Matt Cooper | Superviseur des effets visuels Keith Devlin | Casting Diogo Camões, Lara Manwaring | Costumes Carole Millar | Scripte Inês Teixeira | Production Mário Patrocínio, Jack Thomas-O’Brien | Production exécutive Luís Campos, Ana Paula Catarino, Noémie Devide, Sean Greenhorn, Clarice Lau, Ken Loac, Rebecca O’Brien, Bia Tafner | Production associée Naomi Rachel Smith | Sociétés de production BRO Cinema, Loudness Films, Sixteen Films | Distributeur (France) Survivance

Laura Carreira

Laura Carreira est une scénariste et réalisatrice portugaise installée au Royaume-Uni. Son travail explore principalement les questions liées au monde du travail, à la solitude et aux tensions sociales contemporaines. Elle a étudié le cinéma à l’université d’Édimbourg et a réalisé plusieurs courts métrages salués dans les festivals internationaux. Son cinéma se distingue par une approche minimaliste, un travail rigoureux sur l’hors champ, et une attention portée aux gestes ordinaires des vies précaires. Elle est considérée comme l’une des voix émergentes du cinéma social européen.

FILMOGRAPHIE
2024 – On Falling
2020 – The Shift
2018 – Red Hill

Entretien avec Laura Carreira

Quelle a été votre démarche pour connaître le milieu du travail développé dans votre film On Falling : avez-vous rencontré des personnes victimes de ce type de condition de travail ?

Je n’ai pas fait appel à des journalistes mais j’ai effectivement privilégié la rencontre avec des personnes faisant ce travail. Auparavant, j’avais déjà effectué une recherche sur les travailleurs et travailleuses en situation de précarité et je trouvais qu’il y avait là des histoires intéressantes à raconter à partir de leur point de vue. J’ai tout d’abord fait appel à mon cercle d’ami.es pour trouver des personnes travaillant dans ces conditions précaires avant d’utiliser les réseaux sociaux. C’est ainsi que j’ai rencontré des personnes qui ont généreusement voulu me partager leurs histoires. Dans le film, beaucoup de dialogues sont nourris directement de ces échanges. Ma démarche avait commencé par l’envie de faire un documentaire sur ce sujet mais ce projet n’a pu aboutir. Il se trouve que la fiction me permettait paradoxalement de m’approcher davantage de la vérité. La fiction permet en outre de protéger l’identité des personnes qui peuvent ainsi partager librement leur témoignage de leur travail sans peur de perdre leur emploi.

Comment est venue l’idée de parler à la fois du mal être au travail et de la souffrance de minorités en difficulté d’intégration ?

Au départ, j’ignorais quels allaient être précisément mes sujets. Je souhaitais interroger différents symptômes actuels de notre société, notamment autour de la santé mentale. Je voulais également traiter le parcours des individus subissant leurs difficultés de manière collective et montrant comment tout un groupe de personnes reste dans la même précarité. Ce sont des sujets difficiles à traiter car les personnes ont beaucoup de difficultés à demander de l’aide et se retrouvent seules et pauvres sans pouvoir bénéficier d’un collectif.

Quelle a été votre manière de procéder pour relever le grand défi consistant à raconter une histoire avec très peu de dialogues et sans conflits ouverts entre les personnages ?

Il était important pour moi que le conflit ne vienne pas de l’environnement extérieur. C’est tout le problème du néolibéralisme que même avec un cercle de personnes bienveillantes, tout le mode de vie contribue au mal être en empêchant d’être dans le temps présent. En effet, vu la manière dont le travail est organisé, on se rend compte que les pauses sont très courtes, que le hangar est très grand, ce qui a pour conséquence de rendre très difficile la possibilité de se rencontrer et d’échanger. Il est ainsi difficile de se faire des ami.es et de développer des liens de solidarité.

Votre film est comme le miroir inversé des Temps modernes de Charlie Chaplin : tous deux parlent de la déshumanisation dans le travail à la chaîne mais avec un choix de mise en scène différent, entre la comédie burlesque chez Chaplin et l’approche intimiste et la reconstitution quasi documentaire de votre côté. D’un siècle à l’autre, les deux films permettent de voir l’évolution du monde du travail.

C’est l’industrie en elle-même qui vend la rapidité et lorsque les clients achètent le produit, ils imposent une cadence. Entre les deux époques, il n’y a pas d’évolution car la division du travail est toujours très forte. Comme chez Chaplin, la technologie était déjà là pour créer un cadre d’oppression. Il existe des algorithmes qui permettent de suivre le temps nécessaire pour un.e employé.e de s’occuper d’un produit. Les employé.es ne le savent pas et ainsi ils et elles sont soumis.es à des objectifs de travail qui changent en permanence. Ainsi, dans une même journée, un travailleur peut être félicité avec une barre de chocolat pour ses résultats et recevoir ensuite un avertissement parce que son rythme était moins soutenu. Les personnes plus lentesvivent sous la menace constante d’être virées.

On falling est produit par Ken Loach qui, dans ses films, donne une issue possible à ses personnages face à leurs difficultés rencontrées dans le travail en recourant au syndicat. Dans On falling, ce n’est plus possible.

J’ai choisi une héroïne portugaise parce qu’elle représente la réalité des personnes en situation de migration. Les conditions de travail avec un changement d’équipe constant ne permettent pas à des employé.es de s’unir et de se sentir appartenir à un groupe. C’est là aussi une grande différence avec le monde du travail à l’époque de Charlie Chaplin.

Entretien réalisé par Cédric Lépine, janvier 2025