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Editos, Exploitation

Edito – Février 2024

 Le Groupement National des Cinémas de Recherche est un réseau de salles qui, dans leurs projets aussi différents soient-ils, sont toutes attachées à des valeurs et à de nombreux principes dont ceux de diversité, d’égalité, d’inclusion. Ce n’est pas nécessairement ce qui les réunit et anime leurs débats au sein du GNCR, mais, dans un « esprit de corps », il ne paraît pas totalement hors sujet de délivrer ici un message sous forme d’indignation. Le GNCR existe depuis plus de trente ans et a apporté son soutien à désormais un bon millier d’œuvres cinématographiques, sans se préoccuper – ou alors de façon totalement positive et non discriminatoire – de leurs origines géographiques et ce sont autant d’œuvres qui ont pu être découvertes dans les salles du réseau par d’innombrables spectateurs et de spectatrices sans distinction de couleur, d’origine, de nationalité. Les images et récits qui ont ainsi nourri plusieurs générations de cinéphiles à travers tout l’hexagone, l’ont été aussi par la circulation des cultures et des imaginaires, comme des personnes et des savoirs. Cette diversité est une richesse à laquelle nos salles sont viscéralement attachées. Le cinéma est le meilleur outil pour se faire une idée de l’autre, de penser tous les autres. Le sortilège cinématographique parvient à montrer en effet ce qu’il y a de soi dans l’autre et à souligner l’universalité de la condition humaine. Le cinéma réussit là où l’actualité échoue : dans l’information quotidienne, les personnes racisées apparaissent uniquement comme les protagonistes des problèmes ou des drames qui les « regardent ». On ne parle des réfugiés que dans le cadre de la « crise » migratoire, des roms que quand il y a fait divers, des victimes de racisme que quand il est trop tard. De la même manière, dans le champ politique, notamment lors des campagnes électorales, les médias offrent plus d’espace aux discours xénophobes qu’à la lutte contre les discriminations qui, de l’emploi au logement en passant par la scolarité, pèsent quotidiennement sur les personnes racisées. Tout cela nourrit le processus politique, social et mental d’altérisation qu’est la racisation et qui s’élargit au niveau international : le pays d’origine, la couleur de peau ou la religion ouvrent ou ferment les frontières, offrent ou limitent les opportunités d’existence.  Le cinéma ne trace pas ces frontières intangibles entre les humains. A travers la fiction ou le documentaire, le cinéma a le pouvoir d’héroïser les personnages ordinaires, les silhouettes passives, les marginaux, les victimes silencieuses en les faisant passer au « premier plan » et en nous invitant à plonger dans le drame du point de vue de celui ou celle qui le subit. De nombreux films se consacrent ainsi à l’examen documentaire et/ou fictionnel de souffrances largement ignorées par l’environnement médiatique. Ils peuvent nous aider à engranger l’indignation, l’exaspération, la colère nécessaires pour lutter contre les travers profonds de la société.
En France, des œuvres font régulièrement l’objet de violentes campagnes de dénigrement relayées par les réseaux sociaux et les médias misant sur le « hard news ». Adossées à des commentaires haineux imputables à des groupes d’extrême droite. Art populaire par excellence, le cinéma est ainsi une cible privilégiée pour cette mouvance qui, dans des offensives régulières, massives et coordonnées, porte atteinte à la liberté de création des cinéastes et à la libre diffusion de leurs œuvres. Cela a été condamné dans une tribune récente par les cinéastes de l’ACID qui soulignent qu’en attaquant la diversité et la pluralité des sujets et des récits, c’est aussi le droit à la fiction, élément indispensable de la vie en démocratie, que cette mouvance met en péril. Pour preuve, ce qui se trame en Argentine, et la « Loi Omnibus », qui regroupe le train de réformes dérégulatrices du président Javier Milei. Elle s’attaque notamment à l’Institut National du Cinéma et des Arts Audiovisuels (INCAA, l’équivalent de notre CNC), socle essentiel au développement du cinéma argentin tant dans sa création – d’une richesse et d’une diversité incomparables à l’instar des œuvres produites par le collectif El Pampero – que dans sa diffusion. En proposant la suppression de 75% de son budget, cette loi est en voie de faire perdre à l’ensemble du secteur cinématographique argentin son principal outil de financement public. Et risque de l’affaiblir considérablement, voire de le faire disparaître. Le Parlement français, quant à lui, a adopté récemment un projet de loi immigration défendu par le gouvernement. D’aucuns penseront, peut-être à tort, que cette loi est manifestement xénophobe, que sa justification repose sur des présupposés et logiques abjectement racistes, qu’elle prend prétexte d’une crise migratoire aussi fantasmée que mensongère. La certitude c’est que nous sommes entrés dans une logique de légitimation de la martyrisation des étrangers qui sape les droits fondamentaux de notre société. Qu’un piège mortifère, aussi bien électoral que moral et culturel, se referme sur une grande partie de la classe politique française : il consiste à courir après une extrême droite qui, sondage après sondage, se rapproche toujours plus du pouvoir et à sceller sa mainmise idéologique sur celles et ceux qui nous gouvernent et que nous avions pourtant élus pour lui faire barrage. Cette faillite morale, à l’aune de ce qui se passe en Argentine, rend les perspectives pour l’avenir d’autant plus inquiétantes. Que pourra encore le cinéma demain ? Restera-t-il un antidote efficace permettant d’élargir les vues et de mobiliser l’empathie pour combattre les préjugés ? Encore faudrait-il que le racisme ne soit qu’affaire de tolérance envers l’altérité dont il sera beaucoup question dans les prochaines œuvres soutenues par le GNCR…


Gautier Labrusse
Président du Groupement National des Cinémas de Recherche