Edito – juin 2023
S’il y a un couple dans le cinéma français dont il va falloir grandement se méfier, c’est bien celui que forment Justine Triet et Arthur Harari. Si Gala ou Paris Match ne s’y sont pas encore vraiment intéressés, c’est qu’ils n’ont pas jaugé la dimension conspirationniste de ces deux-là qui nous cachent bien des vérités et tentent de prendre le contrôle de notre cinéphilie comme de nos consciences. Ça fait un bail qu’ils sont ensemble, cohabitent sous le même toit et leurs progénitures ne sont pas que de chair et d’os : ils n’ont de cesse de s’inclure dans leurs projets respectifs qu’ils finissent par engendrer ensemble. Quand Arthur Harari est rentré de l’autre bout du monde où il tournait Onoda, 10 000 nuits dans la jungle, Justine Triet lui a demandé : « Tu veux bien m’aider à accoucher de mon film ? » (sic). Une lente gestation, puisque ça leur a pris trois ans, mais pour quel résultat !? Avec une humanité non feinte, les voilà en posture avantageuse devant la postérité ! Mais quand même !? Quel étrange hasard que deux des plus beaux films du cru cannois se répondent à ce point. Pas seulement parce qu’ils revisitent tous les deux le film de procès, mais aussi parce que l’un – le prodigieux Anatomie d’une chute – est sorti des entrailles de Justine Triet et a été conçu avec Arthur Harari, qui incarne par ailleurs le célèbre avocat Georges Kiejman dans l’autre, le superbe huis-clos Le Procès Goldman, de Cédric Kahn. Alors, hein !? On ne va pas hurler au complot, d’autant que Justine et Arthur assurent qu’ils ne parlent jamais de cinéma à table, à la demande de leur fille, mais on peut légitimement s’interroger sur l’origine de ce besoin de justice !? Ce besoin de tribunal !? Parce que c’est comme une caisse de résonance « où la parole peut avoir quelque chose de spectaculaire » ? Voilà : on y est ! En parlant de leur écriture à deux, Justine Triet explique que c’est « comme un jeu de ping-pong : l’un reprend le texte où l’autre l’a laissé, modifiant tel passage, ajoutant une réplique et renvoyant la balle aussi sec ! » Or, c’est aussi ce qu’ils mettent en œuvre en recevant leurs récompenses sur des scènes prestigieuses, face à des parterres non moins prestigieux et devant des millions de téléspectateurs ! Souvenez-vous de ce qu’avait déjà déclaré Arthur Harari, en 2022 sur la scène de l’Olympia, lorsqu’il avait reçu le César du meilleur scénario des mains d’Alexis Michalik : « Il faut aider les producteurs à prendre des risques et ce qui manque le plus dans ce milieu, c’est peut-être le courage. Le courage de faire des choses autres que convenues et consommables. Autre chose que du contenu […] » Et puis il avait distingué le calcul du courage. En s’adressant aux financeurs du cinéma, il avait ajouté quelque chose comme : « C’est à vous d’avoir du courage, car vous avez une responsabilité historique aujourd’hui, celle de résister à l’impératif de rentabilité. » En recevant son trophée à Cannes, Justine Triet lui a renvoyé la balle ! Depuis, beaucoup d’encre a coulé au sujet de ses déclarations qui en ont offusqué plus d’un.e.s et que la ministre de la Cuture Rima Abdul Malak n’a visiblement pas digérées au point d’en être « estomaquée ». Dans une cinglante lettre publique adressée à Télérama quelques jours avant l’ouverture du festival, l’actrice Adèle Haenel se demandait si « dans un contexte de mouvement social historique (…) tout se passe[rait] comme d’habitude sur le tapis rouge ? » Or, rien n’était venu enrayer l’impeccable machinerie cannoise avant que Justine Triet n’y jette son grain de sable. Mais, en fait de grain, il faut savoir trier le bon de l’ivraie, bien écouter avant de se lancer dans des diatribes outrées. Car, en réalité, même s’il ne fait nul doute qu’elle ait été contre la réforme des retraites à l’instar d’une majorité de Français.e.s, Justine Triet ne l’a jamais condamnée mais a fustigé la négation et la répression de la contestation, la tentative d’invisibilisation de ce rejet par le pouvoir en place. Et, contrairement à ce que la plupart de ses sycophantes affirment, elle ne s’est pas comportée en « enfant gâtée » ou en « ingrate », mais a au contraire proclamé sa reconnaissance pour l’ensemble des dispositifs qui constituent notre exception culturelle « sans laquelle je ne serais pas là devant vous », tout en dénonçant sa mise en danger par des réformes et des projets en cours qui, incontestablement, relèvent d’une tendance à la rentabilité à tout prix et à une marchandisation de la culture. A l’appel à l’organisation d’Etats Généraux du Cinéma lancé par la filière indépendante face à ces mêmes dérives, le gouvernement n’a cessé de faire la sourde oreille. C’est donc à juste titre que Justine Triet a lié la tentative du pouvoir de balayer sous la moquette les oppositions à la réforme des retraites et celles aux modifications en cours du système public accompagnant le cinéma. Ce faisant, elle s’est inquiétée de la possibilité que de nouvelles Justine ou de nouveaux Justin puissent éclore, créer, explorer, prototyper, s’aventurer hors de toute logique de marché et de rentabilité, comme elle avait pu le faire quinze ans plus tôt avec sa Bataille de Solferino, premier film pétillant et ferrailleur, exacerbé et risqué, blackboulant tout formatage, véritable « Red Bull » cinématographique ! Pour la petite histoire qui écrit la grande, rappelons que ce film était alors soutenu conjointement par l’ACID et le GNCR et qu’il était distribué par Shellac, membre du SDI, autant de structures qui militent au sein du BLOC et veillent à préserver et à améliorer notre modèle, lequel est en ce moment au cœur de nombreuses « attentions » et de nombreux rapports, de celui de M. Lasserre à celui de M. Karoutchi, en passant par celui de la commission culture du Sénat. Or, quand un sénateur intitule son rapport « Itinéraire d’un enfant gâté » en évoquant le financement du cinéma, il y a tout lieu de s’inquiéter et de rester vigilants. En attendant qu’Arthur et Justine se renvoient à nouveau la balle lors d’une prochaine cérémonie qui pourrait ne pas être si lointaine, nous vous encourageons à venir nombreux à notre Assemblée Générale de la Rochelle au cours de laquelle nous reviendrons sur l’année écoulée, mais aussi sur les sujets d’actualité qui préparent l’avenir, en gardant à l’esprit que le futur porte l’énergie du présent ! Gautier Labrusse Président du Groupement National des Cinémas de Recherche |