EDITO – Juillet 2020
A l’heure à laquelle j’écris ces mots, une grande majorité des salles de cinéma hexagonales vient de rallumer ses enseignes et ouvrir ses portes après 100 jours tout rond de fermeture.
S’ils sont sans commune mesure avec le nombre de vies prises par la Covid19 et celui des vies préservées avec l’état d’urgence sanitaire, les chiffres qui concernent notre secteur donnent néanmoins le vertige.
100 jours, c’est un peu plus de 14 semaines d’exploitation. Ce nombre-là est sans doute le moins vertigineux si on ne le met pas en regard des conséquences sur la même période d’une fermeture administrative des quelques 2200 établissements qui composent le parc cinématographique français. On parle alors de 6000 écrans restés blancs ou à peine pâlis par les quelques projections que se sont autorisées certains projectionnistes et/ou exploitants pour éviter la dépression. On avoisine quand même 2300000 séances qui n’ont pas eu lieu, 2200 films de la diversité non diffusés dont 185 totalement inédits que nos spectateurs n’ont pas encore pu découvrir. Car nos fauteuils, pas loin de 1472000, sont restés désespérément vides. Ils auraient pu être 60000000 à s’y asseoir confortablement et ce sont finalement les exploitants qui se sont assis sur quelque chose comme 402000000 € de recettes. Et comme ils ne s’assoient jamais tous seuls, un genou pour les distributeurs, l’autre pour le CNC, ce sont 162000000 € et 43000000 € dont ils ne verront pas respectivement la couleur. Pour le CNC, si l’on additionne la TSA non perçue en février et mars qu’il finira peut-être par annuler et la baisse des revenus publicitaires des chaînes, le manque à gagner fiscal est colossal, un trou à combler que l’on peut estimer à 100000000 € !
Aujourd’hui, les salles ont repris leurs activités et, avec elles, les 15000 salariés qui les animent et qui étaient restés en touche pendant la pause. Maintenant qu’ils sont de retour dans la partie, il faut tout mettre en œuvre pour qu’ils soient maintenus dans leurs emplois, pour qu’ils ne fassent pas les frais d’un seuil de rentabilité que les salles, de quelque typologie qu’elles soient, vont difficilement atteindre dans les 200 jours prochains dont il est à craindre qu’ils accentuent encore l’ardoise cumulée au cours des 100 derniers. Pour éviter que les salles ne rentrent dans une spirale négative, il est urgent que le CNC soit renfloué pour, au minimum, assurer la stabilité de son budget et, qu’en plus de la prolongation du chômage partiel jusqu’au 30 septembre, un plan d’aide visant à compenser les pertes d’exploitation qu’elles vont encore subir accompagne les salles dans leur relance d’activité.
Puisque nous sommes dans les chiffres, je ne résiste pas au plaisir de soumettre à notre ministre de la Culture une petite équation que je ne lui aurais pas soumise hier : soit une salle de 100 places accessible sans limitation de capacité mais avec la garantie d’un fauteuil libre à gauche et à droite de chaque spectateur non accompagné ; si je n’applique pas une jauge à 50%, quelle est la probabilité pour qu’au-delà de la 50e réservation, un spectateur lambda se retrouve assis à côté d’un autre spectateur lambda ? Peut-être que Jean-Michel Blanquer pourra lui souffler la solution ou qu’il l’a déjà trouvée dans le système de réservation et de numérotation des circuits ? Je trouve qu’il y aurait beaucoup à redire en ce moment sur cette affirmation : « Les êtres sont comme les chiffres, ils n’acquièrent de la valeur que par leur position. »
Bonne reprise à toutes et à tous !
Gautier Labrusse
Président du Groupement National des Cinémas de Recherche