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DEVOIR DE RENTRÉE

Editos


ÉDITO – septembre 2020

C’est la rentrée, et on aimerait pouvoir reprendre en chœur :
« C’est la rentrée, c’est la rentrée / Mais j’ai oublié / La moitié de mes livres / Mes stylos, mes cahiers / C’est la rentrée, c’est la rentrée / Mais où sont passés / Mes crayons, mon compas / Et tout le tralala ? »
Mais le cœur n’y est pas et, de notre côté, on aimerait bien aussi que notre maman nous réveille de ce mauvais cauchemar. Nous autres, on aurait plutôt tendance à se lamenter en se demandant où sont passés nos spectateurs. Il y a pourtant eu une embellie à la fin du mois d’août dont on espérait pouvoir profiter pour passer la barre. Mais ce fut de courte durée et Tenet, attendu comme le messie, ne parviendra sans doute pas à nous sauver du naufrage. De -30%, nous sommes à nouveau retombés à -50% de fréquentation hebdomadaire. La seule véritable reprise d’activité concerne le virus lui-même et les annonces éventuelles des préfets pour renforcer les mesures anti-Covid flottent comme des épées de Damoclès au-dessus de nos têtes et au dessus de celles des distributeurs qui, à nouveau, jouent aux chaises musicales avec le calendrier des sorties. Dans ces conditions, il paraît très aléatoire de pouvoir redonner une totale confiance à nos spectateurs. En d’autres termes, nous ne sommes pas sortis de l’auberge.
La fermeture des salles de cinéma et la fréquentation en berne, l’arrêt des tournages, les auteurs sans travail, les techniciens sans missions, la baisse des recettes publicitaires des chaînes de télévision : le secteur du cinéma et de l’audiovisuel est en pleine tourmente. Face à cette catastrophe économique, les pouvoirs publics, en concertation avec les organisations professionnelles, planifient des mesures d’urgence. Des annonces ont été déjà faites par le premier ministre lors de l’ouverture du Festival Francophone d’Angoulême. D’autres sont en cours de réflexions, tractations, négociations et nous seront définitivement fixés le mercredi 23 septembre à 14h30, Roselyne Bachelot s’adressant en effet aux exploitants lors du Congrès de la FNCF à Deauville.
Ce que nous savons déjà, c’est que dans le cadre du plan de relance pour la Culture doté de 2 milliards d’euros, 165 millions sont destinés à la filière cinéma et audiovisuel. 60 d’entre eux seront consacrés au réarmement financier du CNC qui mettra en œuvre l’ensemble du plan. Les 105 restants seront à partager entre les différents secteurs de la filière et la FNCF est à pied d’œuvre pour négocier notre part du gâteau. Sur ce plan là, on peut lui faire confiance pour que l’exploitation ne soit pas en reste. Restera à vérifier les modalités de la répartition et du versement. Mais il est fort probable que cela prenne la forme d’une subvention versée sur le compte de soutien et calculée sur les droits acquis non mobilisés. L’équivalent de 5 à 10 mois mobilisables immédiatement pour conforter la trésorerie ou thésaurisables sur le compte pour des investissements futurs ?
Par ailleurs, les exploitants de salles de cinéma seront éligibles au nouveau mécanisme de compensation des pertes d’exploitation liées à la persistance de mesures de distanciation doté de 100 M€ et destiné à l’ensemble des ERP. Ce dispositif sera instauré après concertation avec les professionnels du secteur, avec effet à compter du 1er septembre 2020 et pour une durée de 4 mois. Là aussi, la FNCF est à pied d’œuvre pour se tailler la part du lion. Si tout va bien, il sera accessible en grande partie par anticipation au mois d’octobre et le calcul des aides sera effectué par le CNC sur une perte théorique évaluée sur le chiffre d’affaires moyen en billetterie des trois dernières années. Pour les salles non encore ouvertes à N-1, le CNC s’appuiera sur le prévisionnel du dossier d’aide sélective. Les circuits n’en seront pas exclus, en revanche, s’agissant d’un fonds PME, les salles en régie directe ne pourront pas y prétendre.
Ces mesures les plus significatives devraient être complétées par d’autres moins dotées financièrement mais dont il ne faut pas négliger la portée, au moins symbolique. La reconduction automatique des primes art & essai en 2021 devrait ainsi s’accompagner d’une augmentation substantielle de l’enveloppe permettant d’en payer l’intégralité et d’éviter l’écrêtement. Parmi les autres mesures, le CNC envisage des aides structurelles aux établissements cinématographiques en démarrage d’activité avant le confinement, une incitation financière pour la participation aux dispositifs d’éducation à l’image et un soutien aux actions innovantes de diffusion qui va probablement faire grincer quelques dents…
Cet arsenal ne sera sans doute pas suffisant pour compenser les pertes que nous allons probablement cumuler jusqu’à la fin de l’année et chacun d’entre nous devra adapter son fonctionnement et jongler avec les autres aides consenties par le gouvernement, notamment celles relevant du chômage partiel qui seront maintenues jusqu’à la fin décembre dans des conditions à quelque chose près similaires. Par ailleurs, il ne faudra pas édulcorer les sujets qui étaient déjà sur la table, leur résolution devant permettre de préserver, voire renforcer le modèle économique des salles, de favoriser une meilleure régulation, de conforter les recettes qui ont permis à nos salles de constituer un socle de spectateurs fidèles : de l’action culturelle à l’éducation aux images en passant par l’action sociale. Parmi eux, la réforme du classement Art et Essai, avec l’attente d’un premier bilan du CNC après sa première mise en œuvre en 2019 et la nécessité de certains ajustements pour une meilleure équité entre les salles, la suppression définitive du principe de l’écrêtement ainsi qu’un éventuel relèvement des seuils d’éligibilité ; la régulation de notre secteur et l’enjeu de la préservation des salles Art et Essai indépendantes des grandes villes, dans le cadre d’une concurrence accrue des circuits et de rachat de certaines salles indépendantes avec, en corollaire, un dépoussiérage du dispositif d’aide à la programmation difficile ; le maintien d’une enveloppe budgétaire conséquente pour l’aide sélective à la modernisation des salles et, corollairement, l’élévation des plafonds définis par la Loi Sueur ; la réforme des CDAC et CNAC ; le financement du renouvellement des équipements numériques pour la petite et moyenne exploitation ; les conditions de transposition dans le droit national de la nouvelle directive européenne SMA (Service des Médias Audiovisuels)… Sur toutes ces questions, le GNCR continuera à apporter son expertise et à les nourrir de ses réflexions et propositions, de même qu’il continuera à jouer un rôle de veille et d’information.
Comme nous avons déjà eu l’occasion de le faire à plusieurs reprises, il faut à nouveau saluer l’extraordinaire résistance et l’incroyable résilience des salles qui constituent notre réseau face au choc. Au cours des premières semaines de reprise jusqu’à aujourd’hui, les salles indépendantes sont celles qui ont le mieux résisté, faisant fructifier leur réservoir de spectateurs les plus assidus, mais aussi toutes les initiatives qu’elles ont déployées durant leur fermeture pour maintenir le lien avec leurs publics. Ce sont elles qui, sans aucun doute, sont plus à même d’anticiper les mutations qui nous guettent. Au-delà des recettes que nous maîtrisons tous et du travail constant d’accueil, de fidélisation, de formation, d’animation, de communication, il faudra que nous fassions preuve de beaucoup plus d’imagination pour aller à la (re)conquête des publics, que nous mettions nos réflexions et nos idées en commun afin de les faire fructifier collectivement. C’est tout les sens du questionnaire dont vous avez été destinataires ces jours-ci et auquel je vous invite à répondre le plus exhaustivement possible. Ce sera votre devoir de rentrée…

Gautier Labrusse
Président du Groupement National des Cinémas de Recherche