Ne rien lâcher !

Editos

EDITO – novembre 2021


               Les entrées en salle de ces derniers mois font état d’une inquiétante tendance : l’écart se creuse entre les films généralistes et les films Art et Essai.
L’ADRC a résumé cette situation avec quelques chiffres poignants : en septembre 2021, les distributeur·trice·s indépendant·e·s ont réalisé 20% des entrées première semaine tout en ayant sorti 72% des films… Contre 44% de parts d’entrées en 2019 ou même 63% en 2016.
Cet état des lieux produira selon certains un effet pervers : face au grand nombre de films qui tentent chaque mercredi de trouver leur public, la tentation serait grande pour les salles art et essai de ne programmer que les films les plus porteurs et de délaisser le segment Recherche.
Gageons que cette tentation partira vite en fumée.
D’une, y succomber est éthiquement intenable : les 34M d’€ débloqués en septembre pour aider la filière cinéma à se relever de la crise vont très largement finir dans l’escarcelle de l’exploitation. Nos collègues distributeur·trice·s et producteur·trice·s s’en sont à juste titre émus : si aucune salle ne fermera ses portes grâce à ces largesses, quels sont les films que nous pourrons défendre d’ici quelques années, si les artistes les plus audacieux ne sont défendus que par des structures à bout de forces ?
Il nous appartient de faire montre, plus que jamais, de solidarité entre indépendant·es, en programmant les films qui font vivre les sociétés les plus fragiles, garants d’une diversité sur le long terme sur nos écrans.
Mais les exploitant·es ne sont pas des mécènes, encore moins des pratiquant·es à l’heure de la quête (on a assez ironisé cet hiver sur ce qui nous distinguait des lieux de cultes, eux qui purent accueillir leurs ouailles même aux pires heures de la pandémie).
De deux, donc, quelques lueurs d’espoir nous poussent à « ne rien lâcher » : la belle sortie de First Cow, soutenu par le GNCR, en fait partie. La stratégie singulière de sa distribution (plateforme VOD d’abord – indépendante bien entendu ! – grand messe autour de sa réalisatrice Kelly Reichardt au centre Pompidou, et dans la foulée sortie salle) a montré que de nouvelles façons, inventives, sont imaginables, même en ces temps troubles, qui peuvent ne pas nuire aux entrées de la salle mais faire la lumière sur un film pour préparer un public, sur plusieurs mois, à son arrivée sur grand écran. Cette stratégie peut aussi permettre de distinguer d’autres films tout aussi pointus et radicaux que lui.
De trois, il faut analyser de plus près les chiffres alarmants qui ouvrent cet édito : ce sont principalement les plus « grosses » structures indépendantes qui marquent le pas en terme d’entrées, et pas les distributeur·trice·s du cinéma de Recherche… Les films que nous défendons, s’ils ne représentent qu’une part congrue du marché chaque semaine, subissent moins les effets de la crise. Même si nos salles sont dépendantes de la bonne santé de tout le cinéma (y compris celle du cinéma le plus mainstream) nous pourrions continuer, sans perdre d’entrées, à programmer les films les plus exigeants, ceux qui font battre nos cœurs de cinéphiles… Le problème est peut-être ailleurs : dans l’explosion du nombre de copies (la moyenne de copies par film s’élève à 179 en 2021 contre 152 en 2020 !) qui laisse moins de place qu’avant aux films que nous défendons. Là encore, nous connaissons la solution, celle qui fait l’essence de notre engagement : les choix ! Renoncer à certains films qui seront visibles partout pour défendre sa ligne claire, son identité. Nous avons tout à gagner à singulariser nos programmations !
Pour finir, il nous semble important de rappeler la diversité du cinéma que nous défendons. Non, le cinéma de Recherche n’est pas une catégorie réservée à un public senior ! le GNCR a su soutenir, depuis la reprise des auteurs réjouissants qui réunissent les générations : Dupieux, Peretjako ou encore, à venir, l’extravagant Mandico.
Il appartient à chaque exploitant·e de se saisir de ces films pour faire vivre autour d’eux des propositions intergénérationnelles.
La problématique de l’arrivée (et non du retour !) des jeunes dans les salles art et essai, dont le CNC se saisit à bras le corps – nous nous en réjouissons – est aussi une question prégnante pour les salles Recherche.
Il n’est nullement nécessaire d’organiser un festival Netflix, les propositions de cinéma sont là, qui n’attendent que notre inventivité et notre énergie retrouvée…
 

Juliette Grimont et Gautier Labrusse
Coprésident·e·s du Groupement National des Cinémas de Recherche