Edito octobre 2020 - la bourse ou la vie

la bourse ou la vie

Editos

EDITO – octobre 2020

        Il y en a un qui a un véritable problème avec la Grande Faucheuse et qui lui a toujours fait faux bond : c’est le matricule 007. Déjà dans les années 70, il l’avait envoyé paître, préférant vivre et laisser mourir. A la fin du millénaire précédent, il remettait systématiquement son rendez-vous avec elle au lendemain, convaincu que demain ne meurt jamais. S’il s’était octroyé le permis de tuer, en bon camarade mais en mauvais perdant, il avait averti la camarde que tuer n’est pas jouer ! Quelques années plus tard, M l’avait ressuscité en lui ordonnant : « Meurs un autre jour ! » De bond en rebond, c’est ainsi que James a survécu et qu’avant son 25e ricochet, il pavoisait encore en nous narguant : « Mourir peut attendre ». Il l’a tellement répété qu’à notre tour on s’est moqué de lui en le rebaptisant : « Mourir peut attendre peut attendre » ou encore « Sortir peut attendre ». Mieux vaut en rire qu’en pleurer, mais force est de constater que si JB peut attendre pour mourir aux services de sa Majesté, les salles, elles, ont déjà un pied dans la tombe qu’avec d’autres il leur a creusée. 

      Universal, Warner, Disney, ils ont tous tenu la pelle, puis la pelleteuse, tour à tour, trou à trou, creusant, excavant les collines d’Hollywood pour y enfouir leurs grosses machines et nous avec. C’est toute une industrie mondiale, du moins occidentale, qui est menacée d’asphyxie, lutte pour sa survie et assiste, médusée, aux mutations que la pandémie a accélérées. Les grands pontes de Disney ont au moins le mérite d’être clairs : en lançant leurs derniers films, Soul comme Mulan, sur Disney + plutôt qu’en salle, ils concrétisent la menace du basculement et confirment que pour leurs produits, les consommateurs n’ont pas besoin de notre intermédiaire. C’est la stratégie du Direct To Consumer – DTC. Pour peu que vous sachiez ce que signifie cet acronyme argotique, tout est dit ! 60 millions de consommateurs, ça vous parle ? C’est déjà le nombre d’abonnés emmagasinés par Disney + ! Alors quand la FNCF, la queue entre les jambes, regrette l’absence de la firme aux grandes oreilles à son congrès annuel ou se fend d’un communiqué de presse pour faire part de « la très grande frustration des salles de cinéma » face à sa politique de diffusion, ça vaut à peine un pet de lapin qui ferait bien rigoler Thumper.  Avant de devenir PDG le 25 février 2020 de la Walt Disney Company, Robert « Bob » Chapek était responsable de l’activité « Disney Parks, Experience and Products » de la société. Une manière d’annoncer la couleur, non !? 

        Il faut évidemment sauver le cinéma français, mais d’autres fossoyeurs ont pris le relais depuis que le grand prêtre pendant sa grand-messe a annoncé, mercredi 14, nos funérailles. Car, évidemment, avec le couvre-feu qui concerne un tiers des salles du parc et va les priver de 40% en moyenne de leur fréquentation, nos grosses firmes à nous ne se sont pas beaucoup fait prier pour annoncer leur intention de repousser la sortie de leurs blockbusters à elles. Car Sainte Roselyne (Sainte-Roselyne-des-vaccins-ressuscitée, comme l’a rebaptisée Daniel Schneidermann), notre protectrice, n’est pas parvenue à convaincre les apôtres du couvre-feu de faire une exception avec la culture pour, précisément, préserver la fameuse exception culturelle. Il ne fallait sans doute pas s’attendre à un miracle…

       Ce qui nous attend dans les semaines et les mois à venir, avec les effets en chaîne que déclenchera immanquablement le grippage, rend presque obsolètes les annonces de la ministre lors du Congrès de la Fédération. Certes, les différents soutiens financiers alliés au maintien du chômage partiel permettront à la filière de digérer 2020, mais elle n’a pas fini de ruminer ses malheurs. Même si, encouragés par le CNC et par un esprit de solidarité avec l’ensemble des acteurs économiques de l’industrie cinématographique, nos partenaires du SDI et du DIRE maintiennent majoritairement leurs sorties, la dérégulation et la dilution des spectateurs vont reprendre de plus belle : l’offre restera insuffisante pour que la demande suive et pour que films comme salles atteignent leurs seuils de rentabilité. C’est du moins que ce que l’on peut craindre à moyen terme. Pour stopper l’hémorragie, il ne suffira donc pas de panser les plaies à coup de cataplasmes pécuniaires et de perfusion financière. Après l’urgence dans laquelle nous sommes toujours, il faudra se pencher sérieusement sur un véritable plan de relance de la filière qui l’inscrive dans une réflexion autour d’un réaménagement de son modèle et mette le spectateur au cœur de la reprise. A cette reconstruction, il faudra associer l’ensemble des collectivités pour qu’une dynamique de territoires s’enclenche et permette aux salles de cinéma, quel que soient leur taille et leur statut, d’enrayer la désaffection des publics en maintenant leur attractivité. Pour vivre et non pas survivre. Live and not Survive. Ça ferait un bon titre pour un James Bond ?

Gautier Labrusse
Coprésident du Groupement National des Cinémas de Recherche