1607

Editos

EDITO – octobre 2021


1607, ça vous parle !? L’année où Pocahontas sauva John Smith et fonda sa légende !? Ou bien celle de l’un des nombreux passages observés de la comète Halley ? Allez, encore un petit effort… La durée légale de travail annuelle ? L’altitude du mont du Chasseron dans le Jura ? Non, non, non : vous n’y êtes pas. En fait, il s’agit bien d’un pic, mais c’est celui en nombre d’écrans auquel a culminé le seul film DUNE, à 19h00 le jour de sa sortie pas tout à fait planétaire. Vertigineux, non !? On atteint des sommets ! A 19h00, le 15 septembre, près de 30% des écrans français s’étaient ainsi envolés sur la planète Arrakis, tandis que les 70% restés en rade sur Terre se disputaient les 400 autres œuvres encore à l’affiche. Au pinacle de cette escalade, des établissements de plus de 6 écrans ont consacré entre 50% et 65% de leur capacité totale de vente à la saga. Et ça en agace plus d’un.e : sûr que dans ces conditions, il pouvait dominer. « Prenez c’que vous voudrez, et DUNE pa’ce que ça me fait plaisir, et d’deux pa’ce que ça fait plaisir à grand-père. » C’est la fête du slip et on n’a sans doute pas fini de s’ensabler. Il faudrait d’ailleurs vérifier si avec 007 on a effectué un bond en arrière ou un bond en avant… Blockbuster quand tu nous tiens ! Mais, peut-on encore prétendre qu’après des mois de disette, d’absence et d’abstinence, ces mastodontes viennent au chevet du cinéma, le sortiront de sa léthargie et serviront de locomotives pour booster la fréquentation ? On voit bien qu’ils ont la faveur des spectateurs, quand les autres films restent coincés dans les embouteillages avec peu de passagers, la majorité ayant préféré prendre le TGV. Ou rester à la maison devant la TV. Dans ces conditions, sans bouche, ni oreille, difficile de faire fonctionner le blablaciné.
Rétrospectivement, on ne peut que regretter que, alors qu’un avis de l’Autorité de la concurrence le favorisait dans le contexte particulier de la crise sanitaire, ni les distributeurs/diffuseurs en lien avec l’exploitation, ni les pouvoirs publics n’aient pu donner suite aux besoins de régulation de la diffusion des films en salles. Aujourd’hui, cette carence se traduit concrètement par une surexposition alarmante d’un petit nombre de films au détriment du cinéma indépendant et de la diversité. Dans une situation paradoxale où, suite à une fermeture prolongée, on assiste à une augmentation massive de l’offre de films, ils sont une poignée à constituer une valeur refuge. Apparemment, les exploitants en grande majorité ne savent plus compter au-delà des cinq doigts de la main, privant leurs spectateurs de l’accès à cette offre de films riche et diversifiée. L’inquiétude est réelle et légitime quant au risque de voir à terme disparaître des cinémas la diversité de l’offre cinématographique, faute d’œuvres et / ou d’écrans disponibles. L’audit flash de la Cour des comptes daté de septembre 2021 sur « Les mesures spécifiques de soutien au cinéma prises lors de la crise sanitaire » révèle ce que d’une certaine manière nous savions déjà : les mesures ont bénéficié de façon prépondérante aux salles et tout particulièrement aux circuits, au détriment des autres segments de la filière. Sans même parler de la conditionnalité des aides réclamée par le BLOC, il conviendrait, néanmoins, que les salles en aient conscience et qu’elles participent naturellement au « ruissellement » vers les ayants droit en favorisant la diversité au nom, sinon d’une certaine moralité, au moins de la solidarité dont doit faire preuve la filière. Car, sinon, quelle sera demain la capacité des ayants droit à se projeter dans de nouveaux projets et d’investir dans la recherche et la découverte de nouveaux talents ? Qu’aurons-nous encore à diffuser sur nos écrans ? Notre responsabilité collective pour l’avenir se pose là tant indépendance et diversité sont intimement liées.
1607, c’est aussi l’année de naissance du dernier des frères Le Nain, peintre et auteur du très beau tableau « La Famille heureuse » qui trône au Louvre. Pour ce qui concerne notre filiation, espérons que ça ne devienne pas trop rapidement un doux euphémisme…


Juliette Grimont et Gautier Labrusse
Coprésident.e.s du Groupement National des Cinémas de Recherche