En cannes blanches

Cinéphilie et critique, Editos, Œuvres et Auteurs

Edito – mai 2023



             Le mois de mai, c’est celui où tu fais ce qu’il te plaît, celui où le seigle déborde de la haie et, si le dicton dit vrai, celui où méchante femme s’épouse. C’est aussi celui où tous les exploitants vont en aveugle sur la Croisette : les films sont leurs cannes blanches. A 76 balais, le Festival reste égal à lui-même et ne va pas commencer à balayer devant sa porte. Strass, froufrous, plumes et paillettes se bousculeront pour faire illusion, tandis que les panoplies fashion, les robes aux étiquettes de marque qui dépassent, les smokings Black Tie feront leur montée des marches. Au marché des stars et au rayon des légendes, on comptera Harrison Ford, l’octogénaire fringant et légèrement SM, jamais avare d’un coup de fouet. Il viendra en majesté pour présenter l’ultime épisode de la saga Indiana Jones, et trônera avec ses deux larrons Antonio Banderas et Mads Mikkelsen, ainsi que James Mangold qui a emprunté sa caméra à Spielberg. On rendra hommage à Harrison, comme à Tom l’an passé. Peu probable, cependant, que le ciel de Cannes se fende à nouveau de la Patrouille de France. Leonardo DiCaprio – qui a une légère tendance à bretonner et manifeste un faible pour les Catherinettes – sera aussi de la fête et foulera le tapis rouge aux côtés de Robert De Niro. Avec Killers of the Flower Moon de Martin Scorsese, ils célèbrent leurs retrouvailles 30 ans après Blessures secrètes. Asteroid City brille d’une pléiade d’étoiles, et on ne sait pas qui de Scarlett Johansson, Margot Robbie, Tom Hanks ou encore Edward Norton illuminera la montée des marches de Wes Anderson. Et puis Jude Law et Natalie Portman, à nouveau réunis dans Firebrand, quatre ans après Vox Lux, titre qui clignote comme une (double) enseigne de cinéma. Ça ne manquera donc pas de stars hollywoodiennes à Cannes cette année et, comme si elles n’étaient pas assez nombreuses, Thierry Frémaux – le Grand Manitou qui aime souffler sur les braises – a invité l’une des plus sulfureuses d’entre elles et lui a fait les honneurs de l’ouverture. Comme Harrison Ford, Johnny Depp viendra en majesté, Louis XV en l’occurrence qu’il incarne dans le Jeanne du Barry de Maïwenn. Forcément, après le procès affligeant Depp/Heard et les accusations de violences conjugales qui ont plombé sa carrière Outre-Atlantique, dans un contexte post-MeToo toujours aussi sensible, ça fait plus jaser que jazzer. On entendait même le bruit des casseroles avant les casserolades : Maïwenn se serait offert le scalp d’Edwy Plenel parce qu’il aurait diligenté pour le compte de Médiapart une enquête sur les soupçons de viol à l’encontre de Luc Besson, son ex… Bref, tout ça n’est pas joli-joli ! S’il a peut-être hésité, Thierry Frémeaux n’a quand même pas osé sélectionner le dernier film de Woody Allen. Pas de bol pour son Coup de chance, tourné à Paris dans la langue de Molière. De Valérie Lemercier, à Melvil Poupaud en passant par Guillaume de Toncquédec, toutes les pointures françaises qui y ont participé ne risquent pas de perdre leur soulier de vair sur les marches du Palais. Ah ! Cannes et ses polémiques toujours bien nourries ! Di Caprio a ses Catherinettes et Thierry Frémeaux a ses Catherine. Que de rebondissements dans l’affaire Corsini qui signe son Retour en compétition : initialement retenu dans la course à la Palme d’Or, son film en a été retiré à la dernière minute avant d’être réintégré dix jours plus tard. En cause, des accusations relayées à la légère par la presse autour de présumés faits de harcèlement reprochés à la cinéaste, ainsi qu’une possible « grave » entorse à la législation sur la protection des comédiens mineurs. Des rumeurs infondées aux sources incontrôlées, autant d’infox qui, derechef, posent la question de la crédibilité de l’information et des médias qui la diffusent. L’autre Catherine, qu’on n’a pas fini de coiffer avec ses coupes mythiques, c’est un monument qui, depuis plus de 60 ans, « n’a jamais cessé de tourner, de se réinventer, d’expérimenter d’oser les contre-emplois et les premiers films ». Une icône intemporelle qui ne s’est jamais figée, à l’instar de cette magnifique photo en N&B qui compose l’affiche officielle du Festival. Le plus cocasse, c’est que, loin des conventions et des convenances, Deneuve n’a jamais hésité à être à contre-courant de son époque, comme lorsqu’en plein mouvement MeToo, elle signait une tribune sur « la liberté d’importuner » qui provoquait un tollé. Difficile, donc, de mieux incarner le 7e Art, difficile de le rendre plus vivant ! Mais ce qui le rend vivant, ce sont évidemment aussi tous les films qui l’irriguent, le nourrissent, en font tout le sang. Ils seront encore nombreux cette année à égrener nos journées de festivaliers. Et nous serons nombreux à écumer les différentes sélections. On ne peut que regretter ici à nouveau que le partenariat du GNCR avec la Quinzaine des Cinéastes ait été suspendu car, fidèle à l’esprit des pionniers de la SRF, la sélection de cette année semble faire la part belle à des œuvres formellement innovantes, singulières et inattendues. Il est fort à parier que nombre d’entre elles résonneront avec ce qui nous anime : la recherche et la découverte. D’autres partenariats sont maintenus et nous aurons grand plaisir à vous retrouver pour notre pot traditionnel au Café des Cinéastes de l’ACID qui nous accueillera cette année, association avec laquelle nous partageons de nombreuses valeurs, militons coude-à-coude au sein du BLOC. Enfin, à un moment ou plus que jamais les films ont besoin d’être soutenus et accompagnés par nos associations respectives, c’est également avec un grand plaisir que nous renouvellerons notre proposition de soutien commun avec l’AFCAE autour d’un film particulièrement audacieux au cœur gros comme une complainte de jazz : Little Girl Blue, qui exprime à lui seul toute « la puissance du cinéma et la grâce de l’incarnation ».


Gautier Labrusse
Président du Groupement National des Cinémas de Recherche