La Preuve par Neuhoff ?

Editos

Edito – avril 2024

Les accusations de Judith Godrèche, ses reproches et les questions adressés au milieu du cinéma ont eu l’effet d’un électrochoc salvateur. Il n’a pas fini de nous secouer, d’ailleurs, car les langues continuent à se délier et de nouvelles mises en cause se font jour, révélant notamment des pratiques pour le moins inappropriées lors des castings. Mais cela a eu aussi un effet secondaire qu’on ne peut que désapprouver : de virulentes attaques contre le cinéma d’auteur, la politique qui l’a promu, la Nouvelle Vague, les Cahiers du cinéma qui l’ont accompagnée. Ces attaques surabondent sur les réseaux sociaux et dans tous les médias qui en ont fait leurs choux gras. Jusqu’aux griefs de Macha Méril contre François Truffaut, icône de la Nouvelle Vague, qu’elle accuse de ne pas être « exempt de la liste des cinéastes qui ont abusé des femmes à des fins pas très honnêtes. » Évoquant une « impunité totale » dans le monde du spectacle, Macha Méril appelle à « donner aux femmes les instruments pour se défendre ». On ne peut que lui donner raison. S’agissant de François Truffaut, qui n’est plus là pour se défendre, il n’était sans doute pas « blanc-bleu » et se qualifiait lui-même comme « séduisant et séducteur » quand il se mettait au travail, « le plus beau du monde » qui le plaçait « dans un état émotionnel favorable au départ d’une love story ». Il n’a jamais caché sa passion pour les femmes et les actrices et tombait quasiment toujours amoureux de ses interprètes. De Jeanne Moreau à Fanny Ardant, en passant par Catherine Deneuve ou Marie-France Pisier, la liste de ses amours épouse celle de ses tournages. Fallait-il pour autant chercher à déboulonner un monument, 40 ans après sa mort !? Quel intérêt sinon celui de servir la soupe aux contempteurs du cinéma d’auteur, Eric Neuhoff en tête, dont la soupe ressemble plus à un bouillon d’onze heures quand il tire sur l’ambulance ? Accusations, plaintes… Certes l’actualité réunit Benoît Jacquot, Jacques Doillon ou Philippe Garrel. Au-delà de ça, pour le plumitif, « ces trois-là illustrent le cinéma d’auteur jusqu’à la caricature. » Plus loin, il va jusqu’à prétendre : « Se plonger dans leur filmographie relève de la punition et exige un estomac d’autruche. La bonne presse les a câlinés à outrance. Leur tort a été de l’écouter. Pseudo-rebelles repus de subventions, ils ont élevé l’ennui au niveau des beaux-arts. » Que certains actes, comportements, propos jugés inadmissibles et dénoncés publiquement produisent une culture de l’effacement, on peut l’entendre. Mais que cela permette à certains de remettre en cause une politique vertueuse de financement du cinéma est pour le moins hasardeux. Contrairement à ce qui se dit ou s’écrit ici ou là, cette politique n’a jamais consisté à promouvoir la toute-puissance d’un auteur majusculé en sommet de générique. Ou d’une autrice car cela ne valait pas que pour le masculin mais aussi bien pour Agnès Varda, Marguerite Duras, comme cela vaudrait aujourd’hui pour Justine Triet. Ce qu’elle cherchait à célébrer, c’est l’empire de la mise en scène, ses passions, sa puissance à travers l’invention d’une forme, l’auteur ou l’autrice n’étant qu’à son service. Il y a peut-être d’autre manière de penser le cinéma, la mise en scène et la notion d’auteur, mais il est particulièrement nauséabond de faire un lien entre la politique des auteurs encouragée par le système de financement du cinéma et les agissements des uns et des autres. Rappelons que cette politique a favorisé en tout temps l’émergence de nouveaux talents et que les cinéastes (femmes et hommes) de l’hexagone ont particulièrement brillé cette année dans toutes les compétitions internationales, du Festival de Cannes à la cérémonie des Oscars en passant par celle des César évidemment. Rappelons que les auteurs et autrices sont menacés partout dans le monde par le culte de l’IA et que plusieurs pays ont adopté des projets de loi sur l’industrie cinématographique qui remettent gravement en cause le principe de liberté de création. Comme nous l’avons déjà signalé, c’est le cas en Argentine ou le gouvernement Milei s’apprête à détruire un modèle économique vertueux de développement du cinéma en oblitérant 75% des ressources de l’INCAA, véritable poumon du cinéma argentin qui s’inspire du CNC français. C’est le cas aussi en Algérie où l’Assemblée nationale populaire a voté récemment une loi liberticide instituant de lourdes peines de prison pour les responsables de production qui, tout au long de la filière de fabrication d’un film, porteraient atteinte à la religion, à l’histoire de la guerre d’indépendance et à la morale. Dans les deux cas, les textes condamnent l’existence-même de cinématographies indépendantes reconnues à travers le monde pour leur audace et leur singularité et dont les cinéastes sont régulièrement récompensés dans les plus grands festivals. A l’instar de celui de Godard, il se pourrait bien alors qu’un bon nombre de films n’existent jamais. C’était le souhait d’Eric Neuhoff pour le cinéma français. « HS. Kaputt. Finito. Arrêtons les frais. Le cinéma français agonise sous nos yeux » écrivait-il dans « (très) cher cinéma français », lui reprochant d’être sous perfusion. Pourtant, on l’a dit, le cinéma français ne manque pas de sang neuf. Très cher Neuhoff, Javier Milei cherche un ministre de la culture. Au Figaro, une IA ferait sans doute l’affaire…
 


Gautier Labrusse
Président du Groupement National des Cinémas de Recherche