L’élève Attal doit revoir sa copie !

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Edito – octobre 2023


La première décision du groupe de réflexion « Les arts à l’école », constitué en 2000 dans le cadre du plan Lang/Tasca et animé par Alain Bergala, fut de ne pas instituer le cinéma comme une matière scolaire et de penser l’éducation depuis la formation esthétique individuelle. « L’art doit rentrer dans l’école en gardant une altérité, comme une rencontre qui secoue ». C’est à ce titre que, depuis, la formation des enseignants est le fruit une collaboration entre les acteurs de l’Education Nationale et de la Culture, ce qui permet, conventionnellement, aux enseignants de bénéficier d’un accompagnement de la part de professionnels du cinéma, partenaires privilégiés des dispositifs scolaires qui, de la maternelle au lycée, apportent une dimension didactique essentielle en assumant l’environnement scolaire où ils sont mis en œuvre.
C’est donc avec beaucoup d’étonnement et un brin d’agacement que le CNC et son ministère de tutelle ont découvert une directive destinée aux enseignants et les invitant désormais à se former « hors temps scolaire », ce qui, de toute évidence, risque de remettre en cause les principes fondamentaux des dispositifs d’éducation à l’image. 
Adressée sans concertation préalable avec ses partenaires (le CNC bien sûr, mais aussi les conseils départementaux et les conseils régionaux qui participent aussi largement au financement de ces dispositifs), cette directive s’inscrit en droite ligne de la conférence de presse de rentrée de Gabriel Attal. Le nouveau ministre de l’Éducation nationale qui a multiplié les « annonces » (harcèlement, bac, laïcité, lettre aux chefs d’établissement, pacte enseignant) a exigé qu’à la rentrée 2024 « plus aucun élève ne soit privé de son professeur en raison d’une formation, ou d’une contrainte administrative. » 
Depuis son entrée en fonction au mois de juillet, le ministre de l’éducation nationale a fait des absences non remplacées une « priorité », estimant qu’il n’était « pas concevable qu’autant d’heures de formations ou de réunions pédagogiques soient proposées par l’éducation nationale aux enseignants sur leur temps de cours ». En parallèle, dans le cadre des fortes incitations à développer en priorité le remplacement de courte durée dans le cadre du « pacte enseignant », consigne a été passée dans les rectorats d’organiser la moitié des formations continues en dehors des heures d’ici à juin 2024, et la totalité à partir de septembre 2024. 
Gabriel Attal ne peut ignorer que les heures de formation concernées représentent à peine 10% des quinze millions d’heures non assurées en collège et en lycée. Est-il, à ce titre, raisonnable de sacrifier un patrimoine éducatif et culturel pour pallier, à la marge, la pénurie d’enseignants et le déficit de remplaçants ? Au lieu de détricoter des dispositifs qui ont fait leur preuve et sont vertueux dans leurs dimensions citoyenne, esthétique et éducative, ne serait-il pas préférable de s’attaquer aux véritables problèmes : ceux de la désaffection, du recrutement, de la formation des contractuels et du « fameux « choc d’attractivité » ?
Suprême paradoxe : au détour de son allocution à la presse, le ministre a émis le souhait de faire de l’éducation artistique et culturelle un marqueur de l’école de demain. La DGSCO (Direction Générale de l’Enseignement Scolaire) affiche par ailleurs depuis plusieurs années son ambition du « 100% EAC ». Louable intention que chaque élève du premier et second degré puisse bénéficier d’une action d’éducation artistique et culturelle. Gabriel Attal peut-il, dans ce cas, nous expliquer comment il compte atteindre cet objectif tout en dépouillant les dispositifs d’éducation à l’image de ce qui fait leur force première ? Comment, alors que l’histoire des arts n’est plus au programme de la formation initiale des enseignants, maintenir l’exigence qui est la marque des grands projets artistiques et culturels ?
L’apprentissage des fondamentaux (lire, écrire, compter) est, nous dit-on, en régression dans la plupart des établissements scolaires. Est-il sérieux de considérer qu’en enfermant élèves et enseignants dans leur établissement et en les coupant de ce merveilleux moyen de diffusion du savoir qu’est le cinéma, une force immanente va se répandre dans les classes et transformer une classe apathique en cohorte de lecteurs de Balzac ou d’épigones de Pythagore ?
L’éducation au cinéma a un statut particulier en France, premier pays qui a initié l’idée du cinéma comme art. Le septième, expression consacrée par le critique-théoricien Riccioto Canudo et le cinéaste Louis Delluc qui, depuis sa Pépinière, cherchait à « favoriser les enthousiasmes, les efforts de tous les jeunes, et organiser des manifestations de tous ordres pour le développement de la cinématographie française. » 
Aujourd’hui, pour le 7e Art, les enjeux sont considérables car c’est de son avenir dont il est question. Celui de la salle de cinéma, pour commencer, qui est bien plus qu’un simple outil mais l’élément essentiel dans tout dispositif qui dit promouvoir le rapport à l’art cinématographique. Foyer de la cinéphilie, temple du cinéma, elle est aussi un lieu d’enfance où il est possible de vivre l’expérience de l’altérité.
Au-delà des querelles qui agitent la profession à propos de l’augmentation des tarifs appliqués aux séances des dispositifs d’éducation aux cinémas – certes un vrai sujet -, pour les exploitants que nous sommes, l’éducation à l’image représente un enjeu considérable : il s’agit d’un investissement sur l’avenir, celui des spectateurs de demain. 
En 2001, Catherine Tasca, alors ministre de la culture, avait eu ces mots : « Dans le domaine du cinéma, de l’audiovisuel et plus généralement des images, de nouvelles politiques publiques s’affirment ; elles se proposent d’offrir à tous les jeunes les moyens de découvrir, de pratiquer, d’aimer d’autres images que celles que leur proposent les industries de loisirs. » 
Au cœur de ces politiques, les salles sont un lieu de résistance. Elles redoublent d’efforts pour que le jeune public s’affranchisse de la culture dominante et de la « vidéosphère » qui prend de plus en plus le pas sur notre environnement réel. Conscientes de la vertu émancipatrice de la fréquentation des œuvres, elles sont solidaires du désarroi qui étreint actuellement le corps enseignant dans son ensemble. Et réclament le retrait de ces décisions arbitraires, démagogiques et contreproductives.


Gautier LABRUSSE, Président et Séverine ROCABOY, Trésorière
Groupement National des Cinémas de Recherche