Mars ne fait pas le printemps ?

Editos

EDITO – mars 2021

 Parce que l’actualité et le mois s’y prêtent, commençons en chanson avec IAM, hype quand il rentrait dans la danse et déclarait la guerre à la planète Terre : « Subissez, populations éparses / Une attaque en règle venue de la planète Mars. » Alors que Persévérance vient de se poser sur la planète rouge et que tout a l’air de bien rouler pour le gentil petit rover, eh ben nous, sur terre, nous persévérons mais ne sommes toujours pas rouverts. Or, si Mars est bien le Dieu de la guerre, il serait peut-être temps de la déclarer ouvertement à l’instar de nos amis intermittents !? Et Roselyne l’aura bien cherché. Car, après tout, c’est elle qui est allé exhumer Pablo Neruda et ce n’était certainement pas par sympathie pour les cadavres. Elle avait mis tant de conviction et tant d’espoir dans sa citation que, pour un peu, nous nous serions crus encore vivants. On avait même envie, la larme à l’œil, de citer à notre tour Dostoïevski : « vivre sans espoir, c’est cesser de vivre ».
C’était en janvier dernier, le 14 exactement lors de la conférence de presse hebdomadaire au cours de laquelle Castex et Véran venaient d’annoncer les nouvelles mesures sanitaires. Pour le monde de la culture, qui avait déjà fait une croix sur la fameuse « date de revoyure », d’annonces et de nouvelles mesures, il n’y eut pas. Que dalle. Walou. Nada. Pas une seule date à donner, pas une réouverture en vue, pas le moindre signe d’espoir. Rejaillissaient alors les mots de Jérôme Monod, dans une lettre adressée à ses parents, qui concernaient le Maroc mais pourraient s’appliquer aujourd’hui à l’hexagone : « En France, walou ! Rien, makache ! Je ne vais jamais au cinéma, il n’y a rien. Théâtre ou musique, zéro. Gens à voir, zéro ! »
Ce soir-là, alors qu’elle n’avait rien à dire et aurait pu rester muette, comme la tombe que les sinistres fossoyeurs étaient en train de nous creuser, la ministre était bien là, en chair et en os, et a fini par l’ouvrir quand nous avions déjà compris que nous étions condamnés à rester fermés. Elle a commencé par se pencher sur notre berceau façon Carabosse (c’est le rôle qu’elle a endossée sur les planches de l’Odéon) pour rajouter à notre sort et nous en remettre une couche, bien épaisse, sur les protocoles sanitaires. Mais, il lui fallait également une chute et quoi de mieux qu’une citation pour retomber sur ses pieds ? Dans le registre des maximes prêtes à l’emploi, il y a celle que Socrate, Platon, Montaigne se sont transmise comme un témoin et qu’elle aurait pu relayer à son tour : « Je sais que je ne sais rien ». On ne lui aurait pas reproché son honnêteté. On aurait même pu lui pardonner si, comme Marguerite Yourcenar, elle nous avait déclaré : « Je sais que je ne sais pas ce que je ne sais pas. »
Elle y pensait depuis Noël et la bonne année et a songé à un moment au philosophe Alain : « La bonne nouvelle, c’est que les hommes ont juré́ d’être contents, de tout résoudre, autant qu’ils pourront, par joie et amitié́, ce qui est penser printemps en Janvier. Je vous souhaite de penser printemps. » C’eut été parfait car, sans rien promettre, c’eut été assurer que, malgré, la peur, malgré les doutes et les combats quotidiens, le printemps finirait par renaître et l’espoir par resurgir. Le problème c’est qu’Emmanuel Macron l’avait déjà servi à sa sauce, mais avec le printemps au bout du rouleau, elle tenait quelque chose.
Elle a fini par trouver son inspiration et, après avoir expliqué d’un ton grave : « La situation est trop instable pour évoquer une date de réouverture. Nous devons nous résoudre, sans joie, à vivre pour le moment avec des lieux culturels fermés au public », elle a conclu en citant l’immense poète chilien, prix Nobel, engagé, rouge comme la planète Mars et probablement assassiné : « Mais je sais aussi, avec Pablo Neruda, que le printemps est inexorable ». Ça c’est de la culture ! Et c’est mieux que l’adage « après la pluie vient le beau temps » tout en voulant dire la même chose, croyait-elle. Elle était sûre que le printemps était inévitable parce que les saisons se moquent des hommes et elle pouvait reprendre avec Gabin : « C’était l’début, c’était l’printemps / J’ai dit, je sais, ça y est, cette fois je sais ! »
Aujourd’hui, si vous jetez un œil par la fenêtre, vous verrez qu’il pleut ou que le soleil brille en fonction de l’endroit où vous vous trouvez. Mais, où que vous soyez, les bourgeons sont prêts à éclore ou ont déjà surgi. Le plus timide d’entre eux est la preuve qu’il n’y a pas de mort réelle, comme disait joliment William Blake. Certes, quelques enseignes se seront rallumées le temps d’un week-end, mais cette longue fermeture a fané nos espoirs et nous continuons à dépérir. Il faut croire qu’une hirondelle ne fait pas le printemps. Il faut croire que Roselyne Bachelot ne sait toujours pas et que le printemps risque de devenir inexorable autrement qu’inévitable : sans pitié ? Inflexible ? Implacable ? Si Mars prépare le printemps, il le prépare sans nous et Roselyne continue de babiller : « J’suis encore à ma fenêtre, je regarde, et j’m’interroge / Maintenant je sais, je sais qu’on ne sait jamais ».
Quitte à citer Pablo Neruda à la fin des Mémoires de « J’avoue que j’ai vécu », autant le faire en entier : « La vie des vieux systèmes a éclos dans les énormes toiles d’araignée du Moyen-Âge… Des toiles d’araignée plus résistantes que l’acier des machines… Pourtant, il existe des gens qui croient au changement, des gens qui ont pratiqué le changement, qui l’ont fait triompher, qui l’ont fait fleurir… Mince alors !… Le printemps est inexorable ! » Ce que cela signifie sans aucun doute, c’est que le printemps nous appartient et qu’il faut que nous le prenions par la main, même s’il n’arrivait qu’après l’été, l’automne ou l’hiver. Quand nous serons enfin rouverts. Avant que le petit rover ne revienne de tout là-haut en fredonnant : « Tout petit, tout petit, la planète / Tout petit, tout petit, la planète / La planète… »

Juliette Grimont et Gautier Labrusse
Coprésident.e.s du Groupement National des Cinémas de Recherche