| À la fin du mois d’octobre disparaissait Peter Watkins, l’auteur de La Bombe et de La Commune, reconnu pour son cinéma engagé mêlant documentaire et fiction, aussi rebelle qu’’avant-gardiste. Il s’était illustré par une remise en question profonde des formes traditionnelles de narration et de représentation et sa conceptualisation de la monoforme, c’est-à-dire l’uniformisation des formes télévisuelles et cinématographiques. Watkins dénonçait la monoforme comme un système médiatique dominant qui standardise et dénature l’information. Il considérait ces techniques antidémocratiques car elles ne permettent pas une réflexion critique et une compréhension approfondie des sujets traités. Quelques jours plus tard, sortait sur les écrans le film de Dominique Cabrera, soutenu par le GNCR, Le Cinquième plan de La Jetée. Le film est une réflexion sur la vérité des images, la mémoire, l’exil et le pouvoir qu’a le cinéma de capturer des moments de vie réels et des secrets enfouis. Markerien en diable, le film de Cabrera est une conversation posthume avec l’esprit créatif de Marker sur la manière de faire du cinéma et d’interroger la vérité des images. Marker s’est distingué pour ses réflexions sur la mémoire, le temps et la subjectivité du regard cinématographique. Il a profondément influencé des réalisateurs comme Peter Watkins, notamment par sa manière de déconstruire les conventions filmiques et de mettre en lumière le rôle de la mémoire collective et individuelle dans le cinéma. La connexion entre Peter Watkins et Chris Marker – car c’est là qu’il fallait en venir – réside dans leur approche commune du cinéma comme moyen d’explorer et de réécrire la mémoire historique et personnelle, tout en s’affranchissant des codes traditionnels du documentaire et de la fiction. Comme Watkins, Marker considérait la télévision conventionnelle comme un outil de l’appareil d’État, imposant une idéologie dominante à travers ses formes narratives et visuelles. Tous deux ont perçu le pouvoir manipulateur des formes standardisées soulignant que le problème ne résidait pas seulement dans le contenu diffusé, mais aussi dans la forme elle-même. Les deux cinéastes ont cherché à briser les codes établis pour susciter une réflexion critique chez le spectateur. Leur travail était profondément ancré dans une démarche politique. Ils utilisaient le cinéma pour questionner l’histoire officielle, les relations de pouvoir et l’idéologie dominante. Ils étaient les bâtisseurs du cinéma militant et de l’éducation populaire qu’ils ont contribué à façonner. Ils étaient ce que nous sommes aujourd’hui : des ouvriers qui partagent des préoccupations communes, semblables aux leurs. Cela étant exposé, nous pourrions faire l’économie d’évoquer l’affreux docu-fiction consacré à la passion d’une certaine Alacoque. Au passage, si l’œuf symbolise la vie et la renaissance, c’est l’héritage d’anciennes traditions païennes qui ont été depuis largement christianisées. « Il faut défendre ce projet magnifique pour lutter contre la halalisation de la société ». Petit échantillon de ce que l’on a pu lire ou entendre dans la sphère médiatique Bolloré qui a transformé ce docu-fiction spirituel en objet politique et peut se féliciter aujourd’hui de ses scores au box-office. La halalisation de la société qui s’accompagne d’une christianophobie dont nous serions coupables, nous autres les passeurs d’images, étiquetés « gauche culturelle », qui avons refusé de programmer cet objet. Nous sommes désormais clairement désignés comme les ennemis, au même titre que certains films que nous programmons et qui subissent des campagnes massives de boycott ou de dénigrement parce qu’ils contribuent à cette fameuse islamisation de notre pays ou à une évolution des règles séculières trop éloignées de nos racines religieuses et identitaires. Nous sommes accusés d’une volonté de déchristianisation qui s’appuierait sur une culture de l’effacement. Mais ce n’est que l’arbre qui cache la forêt, car nos accusateurs savent que nous ne sommes pas politiquement ou idéologiquement porteurs d’une volonté de réduire ou d’éliminer l’influence ou la pratique du christianisme dans notre société. Ils savent que notre religion c’est le cinéma et que nous en sommes les prosélytes à l’exclusion de toute autre forme de propagande. En réalité, ils poursuivent un dessein beaucoup plus vaste pour lequel le christianisme lui-même est instrumentalisé comme un outil de propagande pour défendre une identité culturelle et politique qu’ils revendiquent comme chrétienne. Ils ne s’intéressent pas tant à la foi et à la spiritualité chrétiennes qu’à une vision réductrice et identitaire du christianisme, présentée comme un socle historique et culturel à protéger contre des influences étrangères. Cette instrumentalisation utilise la rhétorique d’une « défense des valeurs chrétiennes » comme un appel à la peur et à la protection d’une civilisation européenne mythifiée. Cela mène à un christianisme dévoyé, sans profondeur spirituelle, qui devient une religion identitaire et exclusive, opposée à l’universalisme de l’Évangile. Certains représentants de l’Église s’inquiètent de cette récupération car elle dénature la foi chrétienne et alimente les divisions sociales. Il suffit de lire l’article du journal La Croix au sujet du docu-fiction en question pour s’en convaincre. Le manque de pénétration spirituelle, l’absence de réflexion critique ou de compréhension approfondie, c’est précisément ce contre quoi luttaient Watkins et Marker, précisément ce contre quoi nous devons lutter aujourd’hui. Puisque nous sommes perçus comme les ennemis à abattre, repus de subventions, sous perfusion d’argent public, subversifs à bon compte, puisqu’on nous livre bataille avec des offensives régulières, massives et parfaitement coordonnées, alors donnons-nous les moyens de résister et d’en découdre. Il faut revendiquer haut et fort notre liberté de programmation qui doit être comme celle dont parlait Magritte, peintre de l’art qualifié de « dégénéré » avant-guerre : « La liberté, c’est la possibilité d’être et non l’obligation d’être. » Notre liberté de programmation réside dans le fait de pouvoir choisir la couleur que nous souhaitons lui donner sans être contraint par une norme ou une obligation extérieure. À l’heure où partout dans le monde les cieux des démocraties se chargent d’ombres et que le ciel de la nôtre pourrait rapidement s’obscurcir, on pourrait dire aussi, toujours avec Magritte, qu’« il ne faut pas craindre la lumière du soleil sous prétexte qu’elle n’a presque toujours servi qu’à éclairer un monde misérable. » Lors de nos Rencontres qui se tiendront à Poitiers les 13 et 14 janvier, nous affronterons la lumière, sa réalité, sa vérité et sa complexité, sans craindre ce qu’elle pourrait nous révéler. Il ne faut sans doute pas s’attendre à une illumination ou à une révélation mais notre religion a elle aussi sa spiritualité qui peut éclairer les citoyens et citoyennes que nous accueillons dans nos salles. Sans doute parce que le cinéma éclaire ce que le pouvoir voudrait laisser dans l’ombre. Mais surtout parce que l’on peut affirmer avec Camus que « Résister, c’est créer ». Gautier LABRUSSE, Président Groupement National des Cinémas de Recherche |