Ouija

Editos

Edito – mars 2024

« Esprit es-tu là ? » OUI ! On peut dire qu’il y était à l’Olympia, pour la 49e cérémonie des Cesar. Il faut dire que le cinéma français avait eu bien du mal à se remettre des siens d’esprits tant, l’an dernier, la 48e cérémonie avait été un désastre. Vous vous souvenez peut-être comment les deux J (Jamel et Jérôme) avaient rivalisé de bêtise pour dénigrer le cinéma français, les films d’auteur et les exploitants par la même occasion. A tel point que Juliette Binoche s’était rebellée quand le maître de cérémonie avait suggéré d’insérer des ninjas dans les films art & essai – en l’occurrence, il ciblait Avec amour et acharnement – pour booster leurs entrées ! Elle l’avait interrompu dans son stand upcomics pour clamer son désaccord et avait même failli monter sur scène pour le rectifier façon Will Smith (en gros, lui claquer le beignet) ! Cette édition n’avait pas non plus encore pris toute la mesure de la révolution #MeToo, célébrant, pour la 48e fois d’affilée, une prédominance masculine alors qu’indéniablement en 2022 déjà, nombreux étaient les films de femmes qui auraient mérité d’être nommés et distingués. Or, ils y étaient sans vraiment y être et ont été récompensés sans vraiment l’être. Cette fois, l’Académie des César a opéré un virage à 180° : sur les 24 César décernés cette année, 15 l’ont été pour des films de femmes et 14 ont été attribués à des femmes, parmi lesquels le César de la meilleure actrice qui a départagé 5 actrices filmées par 5 réalisatrices ! 24, c’est aussi le nombre d’années qu’il aura fallu attendre pour que Justine Triet succède à Tonie Marshall et son Vénus Beauté (Institut) pour le César de la meilleure réalisation. Début de la grande « remontada » : au mieux, femmes et hommes seront à égalité pour la 96e cérémonie des César qui devrait se tenir en 2071…
Comme Judith Godrèche l’a réclamé dans son plaidoyer, le cinéma français semble enfin prêt à regarder la vérité en face et à faire en sorte que les choses changent. Le plébiscite des femmes était en tout cas bien palpable sur scène, du César d’honneur remis à Agnès Jaoui au triomphe de Justine Triet, en passant par les nombreuses catégories qui ont vu des victoires féminines face à des challengers masculins. La Québécoise Monia Chokri s’est même sentie obligée de s’excuser auprès de « M. Nolan » en recevant le César du meilleur film étranger pour Simple comme Sylvain. Si le message pour l’égalité femmes-hommes et contre les violences sexistes et sexuelles a ricoché sur plusieurs temps forts de la cérémonie, d’autres ont été délivrés soulignant que, si le cinéma ne change pas le monde, il peut changer notre rapport au monde. Ainsi parla Kaouther Ben Hania. Lauréate du César du meilleur documentaire pour Les Filles d’Olfa, la réalisatrice tunisienne a tenu un discours engagé pour la justice et la paix, rendant hommage à l’opposant russe Alexeï Navalny et au fondateur de Wikileaks, Julian Assange. Elle a également exhorté à un arrêt du massacre à Gaza, le premier que l’on suit en live-screen, en direct sur nos téléphones. Arieh Worthalter, devenu l’un des visages d’auteur et désigné meilleur acteur pour Le Procès Goldman, lui a emboîté le pas pour implorer un cessez-le-feu « parce que la vie le demande, celle des gazaouis et celle des otages », concluant son vibrant discours par quelques mots en hébreu. Raphaël Quenard quant à lui, révélation masculine pour Chien de la casse, s’est aussi révélé petit-fils de paysan. Cheveux hirsutes, sourire en coin, tchatche insolente, phrasé unique au naturel désarmant, l’acteur, chouchou et gloire montante du cinéma français, a apporté son soutien aux manifestants à la veille de l’ouverture du Salon de l’agriculture. La culture, qui nourrit l’esprit, n’est rien sans l’agriculture qui nourrit l’estomac, a-t-il voulu dire en substance dans une sorte de métaphore nietzschéenne. Mâcher, ruminer, digérer : quoi de moins philosophique que l’opération qui se cache derrière le gargouillis de nos estomacs ?
En rendant hommage aux salles françaises qui lui ont toujours réservé un accueil exceptionnel, lequel « exprime tout l’amour du cinéma qui existe en France », Christopher Nolan a corrigé la fausse note entendue l’année dernière à propos de l’exploitation. Jamel Debbouze, lui, n’avait visiblement toujours pas digéré l’apostrophe de l’an passé. En envoyant paître un spectateur qui l’interpellait (coup monté ?) d’un tonitruant « Ta gueule ! T’es un cousin de Juliette Binoche ou quoi !? », il a rendu la monnaie de sa pièce à l’actrice et, libéré de ce poids, pouvait enfin faire sa déclaration d’amour à une autre actrice. En remettant son César d’honneur à Agnès Jaoui, l’humoriste s’est montré d’une sobriété remarquable et d’une éminente sensibilité, se livrant même à une imitation savoureuse de Jean-Pierre Bacri, à en rire et à en pleurer. Lorsqu’Agnès Jaoui, la femme aux désormais 7 César, est montée sur scène à son tour, elle a abrégé son discours pour le poursuivre en chanson et en ukulélé, elle qui avait toujours rêvé de faire l’Olympia. Elle a entamé une tendre balade célébrant le cinéma français et son exceptionnelle vitalité. Alors là OUI ! Tandis que Jaoui jouait, l’esprit a jailli transformant l’Olympia en une immense planche de Ouija !


Gautier Labrusse
Président du Groupement National des Cinémas de Recherche