Petit et grand flash-back

Editos

EDITO – février 2020

Grand flash-back pour petit flash-back. En 1901, dans Histoire d’un crime, le cinéaste français Ferdinand Zecca utilise pour la première fois dans un film le procédé littéraire qui consiste à revenir en arrière. C’est l’histoire d’un voleur coupable d’un assassinat et qui, pris de remords, avoue son crime qui lui vaut d’être condamné à la guillotine. La veille de son exécution, le condamné à mort est profondément endormi dans sa cellule. Sur le mur, au-dessus de son châlit, apparaissent successivement trois souvenirs. Ce sont d’abord deux réminiscences de son enfance qui semble plutôt heureuse en compagnie de ses parents. La troisième évocation est celle d’un passé tout récent au cours duquel il s’adonne au jeu, perd face à un tricheur, puis repère sa future victime, pleine aux as, qu’il suit discrètement. Le dernier souvenir s’estompe et disparaît, le flash-back a donné l’illusion de revenir dans le temps, mais l’histoire, elle, continue à aller de l’avant, la porte de la cellule s’ouvre, laissant passer un prêtre et cinq hommes en redingote, l’air sévère, qui réveillent le prisonnier et le conduisent à son dernier supplice. L’analogie avec ce qui va suivre ? Il n’y en a peut-être pas, ou peut-être y en a-t-il une : réponse de Normand. Mais ça ne peut jamais faire de mal de se replonger dans l’histoire du cinéma et de se recorder ses innovations et impulsions créatrices qui ont justifié son statut de 7e Art. Surtout à une époque où la puissance des plateformes de streaming telles que Netflix, Disney plus ou Amazon Prime, ainsi que la « marvellisation d’Hollywood » dénoncée par Martin Scorsese et le développement, non plus de films de cinéma mais, de « motion pictures », – c’est ainsi que les nomment certains réalisateurs de films à gros budgets hollywoodiens -, toutes ces mutations interrogent nécessairement, au lendemain des Oscars et à l’avant-veille des César, sur l’existence du cinéma en dehors du cinéma et en dedans du cinéma. Car toutes ces transformations auront et ont déjà des conséquences sur l’écriture du cinéma, sur son financement et sur sa survie en tant qu’art.

Après le grand flash-back, le petit flash-back donc. C’était fin décembre 2019, le CNC communiquait, comme chaque année, ses chiffres concernant la fréquentation des salles obscures. Et le millésime 2019, qu’ont particulièrement goûté la FNCF et ses adhérents, s’est révélé être exceptionnel, avec plus 213 millions d’entrées, soit la seconde meilleure année depuis… 1966. On en avait plein les pupilles et, côté GNCR, on en prolongeait les saveurs avec deux récoltes particulièrement délectables, toutes les deux issues de cépages chinois : Le Lac aux oies sauvages et Séjour sur les Monts Fuchun.
Malheureusement, 2020 n’a pas démarré tout à fait sous les mêmes auspices. Selon les dernières estimations de la direction des études, des statistiques et de la prospective du CNC, la fréquentation cinématographique du mois de janvier 2020 accuse un recul de près de 21 % par rapport à janvier 2019. Et les perspectives pour février et mars ne sont guère plus reluisantes. Certains attendent avec impatience le mois d’avril en psalmodiant Mourir peut attendre ! Mourir le plus tard possible, évidemment. Mais avec les élections, un mois de juin footballistique, les aléas des manifestations et les soubresauts de la planète, les prévisions de la fréquentation pour l’année sont assez pessimistes. Ce qui ne fera que rajouter à la morosité ambiante, d’autant qu’après les 15 millions d’économies réalisées par le CNC sur notre dos pour équilibrer son budget, s’engagera, au cours du premier semestre, une revue générale des aides qu’il administre. Celle-ci se fera en concertation et le GNCR, à l’instar des autres organisations professionnelles, s’impliquera pleinement dans cette tâche avec le souhait de conforter le CNC dans son action indispensable à une politique culturelle ambitieuse en faveur du cinéma, notamment par son soutien à la filière indépendante, porteuse de diversité culturelle. Il faudra d’ailleurs être particulièrement vigilant car, dans une période de politique d’austérité et de restriction budgétaire, il faut s’attendre à des attaques en règle contre l’aide Art & Essai. Avant, peut-être, une nouvelle offensive sur la chronologie des médias dans le cadre du Projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique. Et puis, seront passés par là, assez discrètement d’ici la fin du mois de mars, les décrets qui visent à assouplir les règles relatives à la publicité télévisée et, notablement, l’ouverture de la publicité télévisée au cinéma, ainsi que les règles relatives à la diffusion des œuvres cinématographiques sur les services de télévision, en bref la suppression des fameux « jours interdits ».

Si, d’ici la fin du mois de septembre, le cinéma n’est pas totalement cyanosé et nous avec lui, et si quelques films chinois parviennent encore à franchir les frontières malgré le Coronavirus, nous pouvons espérer ne pas encore être tout à fait ces créatures animées en état de mort cérébrale chères à Romero et le Congrès de la FNCF ne se transformera peut-être pas en Zombieland mais ce sera sans aucun doute un sacré parc d’attractions. Avis aux amateurs de sensations fortes !

Gautier Labrusse
Président du Groupement National des Cinémas de Recherche