Prendre de la hauteur

Editos, Exploitation

Edito – mars 2023

Le cinéma français n’est pas mort. On a pu prendre son pouls et sa température lors de la 48e cérémonie des César. Certes, il tire toujours la langue et certains symptômes sont bien réels, voire persistants. A commencer par ce syndrome dont il souffre et n’arrive toujours pas à se débarrasser, celui pour lequel, depuis #Metoo, l’industrie du cinéma français est régulièrement pointée du doigt pour son manque de diversité et de parité, dans les festivals comme au sein des cérémonies. Concernant cette édition, la controverse a démarré dès l’annonce des nominations dans les différentes catégories avec une hégémonie masculine dans celle de la meilleure réalisation et du meilleur film. Il est pourtant indéniable qu’en 2022, nombreux ont été les films réalisés par des femmes qui méritaient amplement leurs places aux César. Or, ils y étaient sans vraiment y être et ont été récompensés sans vraiment l’être. La prédominance masculine n’est pas nouvelle : en 47 éditions, seule Tonie Marshall avait remporté le César de la meilleure réalisation pour Vénus Beauté (Institut) et n’avait toujours pas de successeuse. C’était en 2000 et 23 ans plus tard, le problème était réglé : faute de femmes en lice, la catégorie pouvait être rebaptisée « Meilleur réalisateur » (sic) ! Dans la catégorie reine du meilleur film, parmi les 5 titres on ne comptait que Les Amandiers, qui avait bien du mal à faire amende honorable et était condamné d’avance. On pourra toujours prétendre qu’au sein de l’Académie, il y 4705 membres qui votent pour les nominations puis les lauréats, avec une quasi-parité qu’on ne retrouve curieusement pas dans les nominations. Depuis plusieurs mois, il y a une sorte d’intimation à considérer certains films comme des chefs-d’œuvre (Saint-Omer – pour ne citer que lui car il est assez emblématique – n’est pas nécessairement le prodige qu’on nous a enjoints à aduler) et cela a pu être contre-productif, mais force est de constater que l’Académie des César, dans son conservatisme, demeure le reflet médiocre de notre société.
Car, oui, on pourrait aussi pointer du doigt nos spectatrices et spectateurs. En dépit de l’importance croissante du nombre de films français réalisés par des femmes (en 2022, la barre des 30% a été franchie et, parmi eux, près de 55% des premiers films que comptait 2022), le public et les chiffres de fréquentation pour ces films ne suivent pas et sont même en nette régression – y compris par rapport à leurs paires étrangères – avec un plafond de verre qui avoisine les 4,5%. Le premier d’entre eux, Revoir Paris, d’Alice Winocour, pointe seulement à la 57e place du Box-Office et le suivant, Jeunes amants, de Carine Tardieu, à la 83e ! On prétend que le cinéma d’auteur français souffre, mais force est de constater que c’est encore plus criant pour le cinéma d’autrices, injustement boudé par le public. Comme à ce dernier, il ne paraît pas imaginable d’imposer des quotas, pas plus qu’à nos salles sans doute, il faudra trouver des solutions pour que reparte la fréquentation des films de nos réalisatrices. En premier lieu, cela passera par une augmentation des budgets qui leur sont consacrés (en moyenne outrageusement inférieurs à ceux des hommes) accompagnée d’un effort notable pour leur promotion. Mais il faudra également qu’une cérémonie comme celle des César tienne son rang et amène le public à considérer que le statut du cinéma féminin n’est pas éternellement mineur. On peut se réjouir de la présence massive des femmes dans les nommé.e.s et lauréat.e.s des catégories dites du cinéma émergent (courts-métrages, premier film, documentaire) et y voir un signe encourageant, mais c’est également important de célébrer une réalisatrice qui n’est pas complètement novice pour affermir sa carrière. Ou bien, cher César, il ne faudra pas t’étonner qu’après Alice Guy, Cléopâtre ait pointé son nez. Tu as vu ce qui est arrivé à Ulysse dans Télérama !?
Pour tenir son rang, il faudrait peut-être également que cette cérémonie cesse d’être à la botte de Bolloré et ses fourches caudines : ça nous éviterait les vannes bouseuses à la Jamel ou celles aussi tragiques que la statue du Commandeur. Certes, ça fait rigoler dans les chaumières, à se taper sur les meules, mais ça n’est pas à la hauteur de ce que devrait être cette cérémonie qui célèbre le 7e Art et pas l’humour potache. En fait de bouses, en 2022, Jérôme s’est bien lâché et les a même alignées, d’Irréductible (qu’il a commis lui-même) à Jack Mimoun et les secrets de Val Verde (aussi pastis que pastiche) en passant par Plancha (suite indispensable à Barbecue). On pourrait penser que le 7e Art est ailleurs, pourtant, lors de cette 48e édition des Cesar, ce sont bien les deux J qui étaient à l’honneur, cumulant un temps d’antenne record. Imaginerait-on les Bocuse d’Or (à l’origine, autre compression de César) animés par Chris Kempczinski !?
Même si d’aucuns voudraient chanter aux exploitants le refrain d’Alexis HK « T’es ronchonchon, toi, t’es ronchonchon / Toi t’es fâché, toi t’es grincheux, toi t’es ronchon / Si t’es chafouin fais attention / Ou je t’emmène dans la maison des Ronchonchon », on comprend qu’ils n’aient pas nécessairement apprécié l’ironie du sketch un chouïa caricatural les mettant en scène dans leur combat pour faire revenir le public en salles, sans doute parce que « Qui fait rire par extrême ridicule », c’est la définition que l’on donne des bouffons.  Et le reste était à l’envi : des conseils du maître de cérémonie dans son stand-up d’ouverture pour booster les scores aux Box-Office des films français à la mise en boîte traditionnelle de la ministre de la Culture. Juliette Binoche a-t-elle bien fait d’intervenir quand Jamel Debbouze suggérait d’insérer des ninjas dans « Avec Amour et acharnement », hésitant même à singer Will Smith et à monter lui claquer le beignet ? C’est bien de rigoler et on peut rigoler de tout, entre nous, l’autodérision ayant ses vertus, mais face à près de deux millions de téléspectateurs, on peut difficilement ne pas penser que cela remet une couche les clichés et alimente le bashing dont souffre le cinéma français. Cela accorde du crédit au discours très anti-cinéma d’auteur et aux propos d’un autre Jérôme : « Les gens ne veulent pas aller au cinéma pour se faire chier ! » C’est le genre de déclaration qu’on peut désormais faire en toute décontraction, comme on peut affirmer, à la fraîche, décontractée du gland après avoir quitté le ministère de la Culture, sans doute parce ça fait bien au micro d’une radio à grande écoute : « Les films de Jean-Luc Godard ont toujours suscité chez moi un profond ennui ». Cela accorde également du crédit à la tentation actuelle de modifier le système de soutien sélectif en y incluant des critères de rentabilité, de performance, de résultat. Corollairement, cela apporte discrédit et défiance à l’égard de l’appel à des états généraux du cinéma. Au sein de la profession et de ses différentes filières, les intérêts sont multiples et divergents et les rapports de force parfois violents. Cela devrait justifier que le ministère engage un dialogue avec le collectif qui s’est créé et s’est désormais structuré en groupes de travail et de réflexions, bien déterminé à poursuivre son action. Mais il faudra peut-être attendre que Rima Abdul Malak gagne en notoriété, assez pour chanter à la mi-temps du Super Bowl et qu’elle se remette de la bonne tranche de rire qu’elle s’est payée quand Commandeur lui a dit : « Qu’est-ce que tu as fait à tes cheveux Roselyne ? Tu as tout lissé ? » Et que tout ce beau monde prenne un peu de hauteur…

Gautier Labrusse
Président du Groupement National des Cinémas de Recherche