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Si on changeait

Editos

ÉDITO – août 2020

Après l’élan de la réouverture, le besoin inconditionnel de renouer le lien avec les spectateurs et les spectatrices, l’espoir qu’ont suscité les premiers résultats, l’ensemble de l’exploitation semble tomber de haut. Au bout de six semaines de réouverture, les chiffres sont alarmants. Fière de son parc, l’exploitation française est partie la fleur au fusil et pensait pouvoir faire nettement mieux que ses voisins européens.
Certes, les salles peuvent s’enorgueillir du lien de fidélité avec leurs publics et il y a eu un réel frémissement avec le retour des plus assidu.e.s. Chaque semaine c’est tout de même plus d’1 million de spectateurs et spectatrices qui ont retrouvé le chemin de nos salles. Mais c’est trois fois moins que l’année dernière à la même période et le constat que c’est pire ailleurs ne doit ni nous réjouir ni nous rassurer. Le socle de fréquentation est un colosse aux pieds d’argile.
Ici comme partout ailleurs, nous sommes victimes de l’hégémonie américaine, totalement dépendants de l’évolution sanitaire outre-Atlantique et des choix qu’opèrent les Studios, qu’il s’agisse des reports de sorties comme de l’accélération des nouvelles pratiques de diffusion. C’est là que réside le réel danger car ce sont elles qui encouragent les nouveaux modes de consommation du cinéma et pourraient rendre à terme accessoire la fenêtre salles.
La chronologie des médias a du plomb dans l’aile et il serait bon que nous nous en mettions un peu dans la cervelle. Il est en effet temps que nous réfléchissions à notre modèle d’exploitation et que nous anticipions des mutations qui semblent désormais inévitables. A ce titre, les salles européennes, qui ont depuis longtemps dû s’adapter et faire face aux difficultés endogènes qu’elles rencontraient, auraient beaucoup de leçons à nous donner. Elles ont souvent su faire preuve de nombreuses initiatives qui leur ont permis de se réinventer et de retrouver un niveau de fréquentation que beaucoup d’entre nous pourraient leur envier. Dans notre beau pays, les salles indépendantes sont celles qui résistent le mieux et font presque figure d’exception.
Pourtant le dynamisme qu’elles affichent de tout temps, à l’instar des initiatives qu’elles ont déployées ces dernières semaines, est trop souvent décrié et mis à caution par une profession campée sur son modèle et peu disposée à se renouveler. Sans doute parce que c’est un système qui fonctionne et qui, pour beaucoup de ses intervenants, est relativement « confortable ». Il n’est pas question d’opposer ici une partie de la profession contre une autre : de la fermeture du grand REX à la fréquentation exsangue des multiplexes, on ne peut absolument pas se réjouir d’une situation qui pourrait conduire à l’effondrement de tout un écosystème incluant également la filière indépendante. Mais pour le sauvetage, la remise à flot et la relance du paquebot « cinéma », il paraît totalement insuffisant d’appeler à l’aide et d’attendre la bouée en ne se reposant que sur un soutien financier des pouvoirs publics.
Face à l’explosion de l’offre à domicile qui répond aussi à celle de la demande, il faudra que nous menions une réflexion de fond sur l’alternative que nous avons à proposer aux publics et sur ce qui fait la différence dans nos salles. Sans quoi le capital fidélité sur lequel nous nous reposons encore finira également par fondre. Certes, nous connaissons tous les recettes : de l’animation à l’accueil, en passant par l’éducation aux images et l’accompagnement.
Mais il faudra sans doute faire preuve de beaucoup plus d’imagination pour aller à la (re)conquête des publics. Comme elles l’ont démontré, les salles adhérentes de notre réseau ne manquent pas d’idées. A nous de les faire fructifier tous ensemble.

Gautier Labrusse
Président du Groupement National des Cinémas de Recherche