Chouga est une femme de 30 mariée et mère de famille. Elle vit à Astana, la nouvelle capitale du Kazakhstan. Elle est riche et aimée. Elle tombe éperdument amoureuse d’un fils de famille désoeuvré. Toute à sa passion, elle abandonne mari et enfant pour rejoindre son amant. Bientôt, l’amour se révèle un leurre, la passion un piège. Sans espoir de retour elle se suicide.
Chouga est librement inspiré du roman de Léon Tolstoï « Anna Karenine ».
Prix spécial du Jury – Eurasia – Kazakhstan
Festival de Pusan
Prix spécial du Jury – Festival des 3 Continents – Nantes
Festival International du Film de Rotterdam
Festival Black Movie – Genève
film écrit et dirigé par Darezhan Omirbaev
avec Ainur Tourganbaeva, Aidos Sagatov, Ainur Sapargali, Jassoulan Assaouov
directeur de la photographie : Boris Troshev
assistant image : Alexey Kiryukhin
son : Olivier Dandre
éditeur son : Dominique Vieillard
directeur de production france :Elisabeth Margui-Rampazzo
production : Kazakh Films, Kadam Film en co-production avec Paris-Barcelone Films etArtcam International
avec le soutien du Fonds Sud Cinema du Ministere de la Culture et de la Communication CNC, Le Ministère des Affaires Etrangères français, La Fondation Hubert Bals du Festival International du Film de Rotterdam
Darezhan Omirbaev
Darejan Omirbaev est né en 1958 dans le village d’Uyuk, région de Djambul au Kazakhstan. Après des études de mathématiques appliquées, Omirbaev intègre le VGIK à Moscou. Pendant plusieurs années, il est critique au sein de la rédaction du magazine “ New Film ”. En 1991 il réalise son premier film, Kairat.
Filmographie :
1988 Son premier court-métrage, Shilde(La chaleur de l’été), est intégré dans un
programme itinérant “perspective du cinéma Kazakh” et projeté dans plus de 20 villes au Canada et aux Etats-unis.
Kairat, Son premier long-métrage remporte le Léopard d’argent et le Prix Fipresci à
Locarno (1992), la Montgolfière d’argent à Nantes (1992), le Grand Prix et le Prix de
la Critique à Strasbourg (1993). Kairat est sorti en France en décembre 1997.
1993 Ticket-Collector by Profession, court-métrage documentaire.
1995 Kardiogramma son deuxième long-métrage est en Compétition à Venise (1995); Le film reçoit le Prix du Jury à Nantes (1995). Kardiogramma est sorti en France en 1997.
1998 Killer son troisième long-métrage est en Sélection Officielle à Cannes (1998) et remporte le Prix “ Un Certain Regard ”. Il gagne également le Prix du meilleur scénario à Téhéran (1999). Il a été sélectionné dans de nombreux festivals: Tokyo, Pusan, Toronto, Rotterdam, Nantes, San Francisco… Killer est sorti en France en Janvier 99.
2001 La route, son quatrième film est en Sélection Officielle à Cannes (2001) – Un Certain Regard. Il est sélectionné dans de nombreux festivals: Tokyo, Pusan, Toronto, Rotterdam, Nantes… La route est sorti en France en janvier 2002.
2005 About Love, court-métrage produit par la Corée.
2007 Chouga est son cinquième long-métrage.
Introduction
J’ai demandé à Darejan Omirbaev pourquoi il écrivait des scénarios si courts. Le texte de « Tueur à gages » n’excédait pas 30 pages, celui de « La route » à peine 45 pages. « Parce que je ne suis pas écrivain. Ma formation de mathématicien me fait préférer les partitions courtes. Une sonate fait une vingtaine de pages de musique tout au plus et pourtant certaines œuvres durent plus d’une heure. Et que dire de la beauté d’une formule mathématique qui pourtant prend toute une vie à comprendre ».
Chouga reprend le même principe : une épure romanesque qui, au moment du tournage, prend sa véritable dimension.
Le nouveau script de Darezan Omirbaev est bref. 60 pages en corps 14, et pourtant il reprend la trame romanesque d’Anna Karénine de Léon Tolstoï, roman de plus de 300 pages.
Cette brièveté est revendiquée par Darezan Omirbaev. Elle est même sa signature. Le cinéaste ne nous propose pas une nouvelle adaptation du roman russe. Il s’inspire seulement de la structure du personnage et le fait revivre dans le Kazakhstan d’aujourd’hui. Il oublie les méandres romanesques et reformule l’intrigue dans son étonnante simplicité.
Qu’est-ce qui intéresse Darezan Omirbaev dans ce roman ? Anna Karénine est le premier roman russe dont l’intrigue est de nature psychologique. Ce ne sont plus les peuples, les chefs ou les rois qui font l’histoire mais une femme. Une femme et ses tourments intérieurs.
Et au prisme de son cheminement intime, le romancier russe y décrit toute une époque. Darezan Omirbaev est un historien de son temps. Que deviennent les hommes et les femmes du Kazakhstan, depuis l’effondrement soviétique et dix ans après l’entrée de son pays dans le capitalisme sauvage ?
Il y eût la mafia qui a gangrené le pays (c’est « Tueur à gages » ), le désarroi devant la mutation d’une société qui perd tout repère avec son passé (c’est « La route »). Et aujourd’hui, Omirbaev poursuit ses interrogations sur les siens et leur nouvelle existence. Il s’intéresse à une classe sociale qui est la sienne, (je reconnais bien des amis de Darezan dans les différents personnages ici racontés, à commencer par la jeune Chouga qui jouera le rôle principal ) Depuis 10 ans, les temps ont changé. Son pays vit sur le plan matériel mieux qu’avant, et à l’évidence dans les villes, chacun est gagné par des interrogations sur sa vie intime. Est-ce cela le bonheur ? La suffisance matérielle nous rend-elle heureux ? Le couple ? L’amour ?
Les sociétés archaïques n’avaient pas d’intimité, de doutes intérieurs, de désirs faciles à assouvir (de pulsions oui) l’individu était inclus dans un groupe, dans un clan, dans une tribu et les différentes étapes de sa vie étaient organisées en fonction de son utilité sociale (naissance, métier, mariage…). Il y avait un carcan (le clan, l’appartenance aux parents, aux pères, aux communistes) et l’espace d’initiatives était bordé, canalisé, empêché, les libertés réduites. Dans l’actuelle société Kazakhe, c’est au contraire la liberté de voyager, de s’instruire, de commercer, d’échanger…Que deviennent les femmes et les hommes dans ce nouvel espace ?
Et de là l’idée d’Anna Karénine est intéressante, car elle marque le début du monde moderne. Il est donc intéressant de la relire dans la lumière d’aujourd’hui. Milan Kundera écrit dans sa préface au livre de Philippe Roth « Professeur de désir » qu’après, Madame Bovary (autre grand roman de femme), Anna Karénine nous fait entrer encore un peu plus dans l’intimité sensible du personnage. Durant tout le vingtième siècle, nous dit-il, les romanciers et les cinéastes nous en diront toujours un peu plus, sur les désirs jusqu’à savoir comment les hommes et les femmes font l’amour et comment ils se jettent dans l’eau du plaisir charnel et sexuel. Leurs actes ont été vus à la loupe grossissante à l’extrême jusqu’à l’impudeur provocatrice : mais qu’est-ce qu’on y a vu de plus ? Des êtres qui se perdent dans l’abîme de leur passion, tourmentés par leurs désirs inassouvis ? On y a vu les couleurs de leurs temps.
La proposition initiale de Darezan Omirbaev était de réaliser un film érotique sur une femme. Mais fidèle à Robert Bresson, grand maître qui l’inspire, il est resté dans l’ombre du désir sans avoir à nous dire plus sur la chair et le sexe. Et pourtant, tout est dans cette histoire : l’attrait à la fois imaginaire et illusoire pour cet amant qui la prend telle une proie facile et la réduit à une putain gratuite. Pourquoi se réduit-t-elle à cette victime souffrante de trop de désirs et d’illusions amoureuses ? Pourquoi une telle issue alors que le confort matériel et la « sécurité sociale » commençaient à répandre ses effets bénéfiques ?
Omirbaev n’a pas souhaité nous en dire plus, il a voulu réduire son histoire à l’essentiel. Il n’a pas voulu tout montrer et c’est cette épure, cette esquisse qu’il nous propose « à minima ». À nous, de nous raconter le reste.
Le producteur P.S. Pour bien marquer ce Kazakhstan d’aujourd’hui, D. Omirbaev utilise le changement de capitale comme déclencheur romanesque. Almaty était la capitale économique et culturelle. L’actuel Président a voulu une nouvelle capitale (pour, dit-on, s’éloigner encore un peu plus de la Russie), il a installé son gouvernement et son administration à Astana, qui, aux dires des habitants d’Almaty, n’était que la capitale des moustiques. Du coup, le culturel et la finance sont séparés. Almaty se vit comme une capitale déchue qui n’a rien perdu de ses attraits culturels et méprise copieusement l’affairisme de la nouvelle capitale, Astana.
L’art de voir
Darezhan Omirbaev, un poète-cinématographe Kazakhstanais de classe mondiale. (extraits) Par Kent Jones, traduction Arienne Verburg
Simultanément, confronter la vie et prendre du recul, ressentir le monde extérieur et intérieur comme un tout intégral, vivre mille ans dans une seule matinée… L’ambition rare du cinéaste Darezhan Omirbaev est de donner une consistance à l’aventure de la conscience.
Omirbaev est un artiste passionné par la confrontation de l’interférence entre l’intérieur et l’extérieur, dans un cadre plus poétique que dramatique.
“Tout vrai poème contient l’élément du temps arrêté, du temps qui n’obéit pas au chronomètre, du temps qu’on appellera vertical pour le distinguer du temps ordinaire.”Gaston Bachelard aurait été enthousiaste de l’inscription d’Omirbaev dans la veine de l’expérience vécu, son dévouement au compte-rendu précis de la perception, son insistance sur une forme de cinéma qui réussit à atteindre la verticalité sans retomber dans un temps strictement ordinaire. “Pour les poètes qui réalisent ce moment avec une telle aise, un poème ne se déploie pas mais se tricote; c’est un tissu de noeuds. Le drame, pour eux, ne se développe pas. Leur mal est une fleur tranquille.”
Omirbaev ne semble pas “arriver” avec aise à aucun moment; chacun de ses films sont longuement médités, chaque choix, chaque geste sont scrupuleusement ruminés tout en voulant rester fidèle à l’instant, à la sensation d’être éveillé à la vie pendant que le brouhaha continu du temps linéaire bourdonne tout autour.
Les images qui portent la fleur tranquille du mal, des cataclysmes et épiphanies potentiels, des terreurs et des miracles, sont le signe de marque de ce réalisateur parfois connu comme “Le Philippe Garrel du Kazakhstan”. Dans toute scène, il crée de l’espace pour des images tranquillement dérangeantes ou des gestes renversent le déroulement attendu (par le protagoniste et le spectateur) et suggère une faille qui s’ouvre sur un autre plan, un plan d’incertitude sans égo.
Pourtant, chez Garrel il s’agit de rêveries et de la dislocation de la mémoire et du temps, tandis qu’ Omirbaev est préoccupé, sinon obsédé, de son contraire – l’effort mental de tenir tête à la précipitation des expériences et l’angoisse qu’elle entraîne. Il sera difficile de compter les nombreux moments dans ses films où l’homme se réveille dans une pièce froide et sans agrément rien que pour traîner au lit pendant quelques secondes, le temps de se soustraire au flux des rêves pour se diriger vers la monotonie d’une autre journée de travail; ou les nombreux close-up de genoux, bras et coudes de garçons et de filles qui se frottent furtivement, se maintiennent à la frontière entre la révélation de soi et la retraite.
Ses héros comme Tiéguen dans Chouga – sont des personnages introvertis, d’un calme parfois frôlant le défensif, déchirés entre la réalisation de leur désir et l’angoisse mortelle de faire un faux pas en public. Ils sont proches de l’aristocratie Garrellienne de poètes et d’artistes anti-bourgeois, sauf qu’ils vivent dans une superstructure sociale largement différente, ce monde étrange du Kazakhstan moderne. Jadis le foyer des tribus nomades, aujourd’hui un hôtel pour des capitalistes de passage avides de pétrole, l’aura de la culture communiste y flotte toujours depuis toutes ces années après la dissolution du communisme (pour paraphraser Jim Hoberman), et il semble toujours y avoir un collectif constitué des yeux de mères, parents, flics ou d’un public insensible qui surveillent.
Si Garrll met en avant la liberté de l’artiste, Omirbaev accuse son jugement sévère et sa honte potentielle. La tension entre l’expérience intérieure et extérieure, entre d’un côté leur distance et de l’autre leur proximité intime, se ressent douloureusement à travers tous les films d’Omirbaev. Il ne cesse d’exposer l’abîme entre l’attente et la réalité, l’éclatement positif et négatif de scénarios mentaux par l’expérience imprévue.
Chez Omirbaev, le thème de l’annihilation de la contemplation poétique dans le monde contemporain est toujours présente, on le retrouve dans Chouga en 2007.
Lors de notre rencontre en 2004, Omirbaev me disait qu’il était en train d’écrire une histoire avec comme personnage central une femme au lieu d’un homme dans ses films précédents. Il avait choisi d’adapter l’histoire de quelqu’un d’autre, en l’occurence, de Tolstoï. Il est dur d’imaginer une adaptation comprimée plus puissante d’Anna Karenina. Dans Chouga, chaque image, chaque geste compte, peut-être même trop – je crois qu’ Omirbaev aurait pu prendre un peu plus de temps pour la descente dans la folie de son héroïne, et peut-être pour sa subjugation par Ablaï, le personnage de Vronsky. Mais Ainur Turgambayeva est une actrice époustouflante, d’une beauté intérieure comme extérieure.
Jasulan Assauov (12 ans après Cardiogramme, un jeune homme tranquillement réservé) jouant le personnage de Levin occupe la place centrale du film.
Il est photographe. Le film crée une puissance de contraste entre l’attention scrupuleuse et affirmée portée par Tiéguen au jeu de la lumière et de l’ombre et le regard plus indifférent que porte Ablaï à Chouga, aux stripteaseuses dans le club qu’il fréquente et aux moniteurs vidéo et écrans d’ordinateur qui font figure d’objets incarnant le nouveau monde libéral, et finalement à une exécution, mise en scène et filmée pour sa délectation par ses amis voyous.
C’est comme si Omirbaev avait vu dans la construction massive de Tolstoï une allégorie du regard à son centre. Etant donné que les diversions qui engloutissent l’attention prolifèrent et sont de plus présentent à travers la planète, l’allégorie est puissante.
Cet humble artiste si digne nous donne une leçon qui pourra être une maxime pour tous les réalisateurs: “Détourne les yeux un instant du monde,” nous dit le film, “ et tu perdras ton âme.”