Film soutenu

Grand Tour

Miguel Gomes

Distribution : Tandem Films

Date de sortie : 27/11/2024

Portugal, Italie, France - 2h08 - Image 1.66

Rangoon, Birmanie, 1918. Edward, fonctionnaire de l’Empire britannique, s’enfuit le jour où il devait épouser sa fiancée Molly. Déterminée à se marier, Molly part à la recherche d’Edward et suit les traces de son Grand Tour à travers l’Asie.

Prix de la Mise en scène – Festival de Cannes 2024

Timothy Sanders Cláudio da Silva • Reginald  Jorge Andrade • Reverendo Carpenter  João Pedro Vaz • Horace Seagrave  João Pedro Bénard • Espia  Teresa Madruga • Lady Dragon  Joana Bárcia • Príncipe Tailandês  Rembrant Beerens • Keita  Kazuo Kon • Major Brown  Diogo Dória • Mrs. Cooper Manuela Couto

Mise en scène  Miguel Gomes • Comité central / scénario  Mariana Ricardo, Telmo Churro, Maureen Fazendeiro, Miguel Gomes • Image Rui Poças AIP ABC, Sayombhu Mukdeeprom, Gui Liang • Assistant réalisateur  Patrick Mendes • Script et montage  Telmo Churro • Décors Thales Junqueira, Marcos Pedroso, Babi Targino • Casting Maureen Fazendeiro, Filipa Falcão • Costumes Sílvia Grabowski • Maquillage  Emmanuelle Fèvre • Coiffure Daniela Tartari • Effets spéciaux Elio Terribili • Ingénieurs du son  Vasco Pimentel, Li Kelan • Conception sonore et mixage Miguel Martins • Étalonnage  Yov Moor • Productrice  Filipa Reis (Uma Pedra no Sapato) • Co-producteurs  Marta Donzelli & Gregorio Paonessa (Vivo Film), Thomas Ordonneau (Shellac), Tom Dercourt (Cinéma Defacto) • Producteurs associés  Patrícia Faria, Serena Alfieri, Viola Fügen, Michael Weber, Holger Stern, Meng Xie, Kei Chika-Ura • Producteur exécutif  João Miller Guerra • Direction de production  Catarina Alves

Miguel Gomes

Miguel Gomes (Lisbonne, 1972) est un cinéaste portugais diplômé de l’École Supérieure de Théâtre et de Cinéma de Lisbonne. Après ses premiers courts-métrages, présentés et récompensés dans de nombreux festivals internationaux, il réalise son premier long-métrage, LA GUEULE QUE TU MÉRITES en 2004. Ses films suivants, CE CHER MOIS D’AOÛT (Quinzaine des Réalisateurs 2008), TABOU (Ours d’argent – Prix Alfred-Bauer et Prix FIPRESCI, Berlinale 2012), LES MILLE ET UNE NUITS (Quinzaine des Réalisateurs 2015) et JOURNAL DE TÛOA (coréalisé avec Maureen Fazendeiro, Quinzaine des Réalisateurs 2021) confirment son succès à l’international. Des rétrospectives du travail de Miguel Gomes ont eu lieu en Autriche, en Italie, en Espagne, en Allemagne, en Grèce ou encore aux États-Unis. GRAND TOUR est son sixième long-métrage pour lequel il reçoit le Prix de la mise en scène au Festival de Cannes 2024. Miguel Gomes travaille actuellement sur SAUVAGERIE, un projet d’adaptation d’un ouvrage de l’auteur brésilien Euclides da Cunha et sur ROMANCE, d’après le roman graphique de l’illustrateur français Blexbolex.

FILMOGRAPHIE

2024 GRAND TOUR
2021 JOURNAL DE TÛOA
2015  LES MILLE ET UNE NUITS VOL.1,  L’INQUIET / VOL.2,  LE DÉSOLÉ / VOL.3,  L’ENCHANTÉ – Quinzaine des Réalisateurs
2013  RÉDEMPTION (cm) – Mostra de Venise
2012  TABOU – Berlinale (Prix  Alfred-Bauer pour  l’innovation et Prix  FIPRESCI)
2008  CE CHER MOIS D’AOÛT – Quinzaine des Réalisateurs
2006  CANTIQUE DES CRÉATURES (cm)
2004  LA GUEULE QUE TU MÉRITES – Festival de Lisbonne (Prix  de la critique et de la meilleure photographie)
2002  DÉCALCOMANIE (cm)
2002  31 (TRENTE-ET-UN) (cm)
2000  INVENTAIRE DE NOËL (cm)
1999  ENTRETANTO (cm)


Invitation de la programmatrice

Après le succès de TABOU et la saga des MILLE ET UNE NUITS, Miguel Gomes se réinvente une nouvelle fois avec cette fresque qui oscille entre fiction et réel de manière magistrale. Avec un noir et blanc somptueux inspiré des « travelogues » (ces premiers films dits « touristiques » qui ont fait florès dès les débuts du cinéma) le cinéaste portugais nous livre une évocation du Portugal colonial avec l’humour et la distance qui le caractérisent. C’est beau, mais cette beauté se mérite : la condition première d’y goûter pleinement étant de se laisser déborder par le temps et l’espace.

SÉVERINE ROCABOY – Cinéma Les Toiles à Saint-Gratien

NOTE DU RÉALISATEUR

Ce film a commencé à prendre forme la veille de mon mariage.

Je lisais un livre de voyage de Sommerset Maugham, A Gentleman in the Parlour. Dans deux pages de ce livre, Maugham ,raconte une rencontre avec un Anglais vivant en Birmanie. Ilavait fui sa fiancée à travers l’Asie avant d’être rattrapé etde finalement vivre un mariage heureux… Au fond, il s’agissaitd’une plaisanterie, jouant sur des stéréotypes universels :l’entêtement des femmes l’emporte sur la lâcheté des hommes.

Cette poursuite a pris la forme d’un Grand Tour. Au début du XXe siècle, le «Asian Grand Tour» est le nom donné à l’itinéraire qui part d’une des grandes villes de l’Empire britannique, en Inde, et se termine à l’Extrême-Orient (Chine ou Japon). De nombreux voyageurs européens ont entrepris ce Grand Tour et plusieurs d’entre eux ont écrit des livres sur cette expérience.

À partir de cette idée sommaire du fiancé prenant la fuite en suivant cette route, nous avons décidé qu’il nous fallait faire ce Grand Tour nous-mêmes avant de ne commencer à écrire ,le scénario. Nous avons filmé cet itinéraire en 2020, créant ainsi des «archives de voyage». L’écriture est née de notre confrontation avec ces images. Contrairement à ce qui se passe  dans les films d’archives, ces images ne viennent pas du passé mais du présent. Et le reste du film, tourné avec des acteurs, en studio, à Lisbonne et à Rome, c’est le passé.

L’action se déroule en 1918. Les deux personnages principaux de ce film parcourent ce vaste territoire pour des raisons complémentaires : Edward, l’homme, fuit sa fiancée Molly ; et Molly, la femme, poursuit son fiancé Edward. Il essaie d’éviter ou du moins de retarder le moment du mariage ; elle essaie d’épouser Edward sans perdre plus de temps. Les innombrables péripéties qui résultent des mouvements de chacun d’eux font le film et reflètent l’interaction virtuelle entre Edward et Molly, la symphonie d’un décalage qui naît de l’irruption du monde entre deux individus.

Comme dans les screwball comedies américaines des années 1930 et 1940, la femme est le chasseur et l’homme la proie. Cependant, les deux personnages sont séparés dans l’espace et le temps du film. Le changement de perspective de l’homme vers la femme conduit la comédie à céder la place au mélodrame.

Il y a plusieurs Grands Tours dans ce film. Celui, géographique, des images de l’Asie contemporaine, correspondant au parcours des personnages dans l’Asie imaginaire, reconstituée en studio. Il y a le Grand Tour affectif vécu différemment par Edward et Molly : tous deux sont en mouvement dans ce territoire sentimental qui n’est pas moins vaste que celui qu’ils traversent physiquement. Et surtout, il y a le Grand Tour qui unit ce qui est séparé – les pays, les sexes, les époques, le réel et l’imaginaire, le monde et le cinéma. C’est surtout à ce dernier

Grand Tour que je veux inviter le spectateur du film. Et c’est à cela que sert le cinéma, je crois.

MIGUEL GOMES, mai 2022


GRAND TOUR / RÉCIT DE VOYAGE

Janvier / Février 2020.

L’avion atterrit à Rangoon le 3e jour de la nouvelle décennie. Je sors de l’aéroport en compagnie des scénaristes du film. Nous n’avons encore rien écrit mais nous avons déjà défini la trajectoire des personnages en Asie du Sud-Est. Nous allons nous-mêmes suivre ce parcours avant de rentrer à Lisbonne pour écrire le scénario. Nous voulons aussi filmer le voyage, en

16mm, pour recueillir une archive de voyage que nous pourrons utiliser dans le film. Ce sera une sorte de found footage du présent qui nous servira à établir des liens avec ce qui se passe dans le passé, en 1918, dans une Asie imaginaire recréée en studio. L’idée n’est pas de marquer la discontinuité entre deux temps distincts mais au contraire de créer une continuité entre le studio et le monde, entre 1918 et 2020. Faire naître au montage un temps cinématographique unique. Heureusement pour nous, c’est surtout au spectateur de croire et pas tant au cinéma de faire croire. En cinq semaines nous passons de Myanmar à Singapour, nous traversons la Thaïlande, nous volons vers le Vietnam, de là nous allons aux Philippines, nous parcourons le Japon. Alors que nous nous préparons à embarquer dans le ferry d’Osaka en direction de Shanghai, nous apprenons qu’il a été annulé. Une étrange épidémie sévit en Chine et interrompt notre voyage. Nous rentrons à Lisbonne en pensant que nous repartirons rapidement.

Janvier 2022.

Las d’attendre que le gouvernement chinois termine la « politique de covid zero » et réouvre les frontières, nous décidons de faire le plus étrange des tournages. À distance. Nous sommes quatre à Lisbonne et nous nous retrouvons chaque jour, à minuit, dans une maison louée pour l’occasion. À des milliers de kilomètres et dans un autre fuseau horaire, une équipe chinoise va parcourir les 3500 km qui manquent pour compléter le voyage commencé deux ans plus tôt. Ce dernier segment commence à Shanghai et se termine dans la province de Sichuan, très proche du Tibet. Sur la table du salon, à Lisbonne, on trouve la technologie qui nous sert d’yeux et d’oreilles en Chine. Un moniteur transmet les images captées par le téléphone de l’assistant de réalisation chinois, ce qui me permet d’avoir une vision globale de l’espace. Sur un autre moniteur, je reçois le signal vidéo de la caméra. Sur l’ordinateur, nous avons encore deux autres systèmes de communication, un audio et un autre par écrit en cas de problèmes techniques. Étrangement, tout se passe bien. Je parviens toujours à choisir la position de la caméra et à diriger le plan comme si j’étais sur le plateau, chuchotant à l’oreille du chef opérateur. Je parviens à donner le moteur et couper, ou demander des panoramiques en temps réel.

J’arrive même à intervenir pour inclure des éléments imprévus dans des scènes à filmer. Comme le jour où l’équipe chinoise m’a dit que le patron du restaurant où ils ont déjeuné s’est mis à jouer de la guitare, ce qui m’a poussé à leur demander de l’inviter à bord du bateau où nous allions filmer pour qu’il joue pour la caméra. Ça me perturbe que tout marche aussi bien dans ces conditions. Ça remet en question de profondes convictions rosseliniennes et des impulsions herzogiennes, mais je ne me plains pas.

Février / mars 2023.

Une semaine et demie de tournage dans un studio à Lisbonne, deux semaines et demie de tournage dans un studio à Rome. Équipes géantes, beaucoup d’acteurs. Le contraire de ce que j’ai eu jusqu’ici dans ce film. La lumière du jour ne pénètre pas sur le plateau et personne ne passe devant la caméra sans qu’on lui demande.

Un contrôle total des conditions de tournage, c’est comme une camisole de force pour moi. Comme d’habitude, je me ,refuse à planifier les scènes avant le jour du tournage. Le cinéma se fait au présent, du moins pour les réalisateurs qui n’ont pas le talent d’Hitchcock. On me dit que sans ce travail détaillé de préparation, les techniciens vont être mécontents et que nous risquons de perdre trop de temps. Bullshit! L’équipe est contente et moi aussi. Nous réinventons le monde chaque jour ensemble. En 30 décors : forêts de bambou en Chine, jungles thaïlandaises, temple enneigé au Japon, Palais de Bangkok, port birman, demeure seigneuriale au Vietnam, bateau sur le fleuve Yangtze… Sans un seul trucage numérique. Une énergie incroyable sur la plateau. Capturer le spectacle du monde et réinventer le monde de zéro en studio. Passer d’une chose à l’autre. Nous avons parcouru plusieurs milliers de kilomètres pour filmer mais le véritable Grand Tour de ce film, c’est celui qui relie ce qui est séparé.

MIGUEL GOMES, PUBLIÉ DANS LES CAHIERS DU CINÉMA, N°805, JANVIER 2024