Film soutenu

Loup et chien

Claúdia Varejão

Distribution : Epicentre Films

Date de sortie : 12/04/2023

Portugal, France - 2022 - 1h51 - Couleur - 4/3 - stéréo / 5.1

Née sur une île marquée par la religion et les traditions, Ana embarque pour un voyage libérant de nouveaux désirs alors qu’elle rencontre la rayonnante Cloé et se lie d’amitié avec la communauté queer locale.

79e Festival de Venise – Italie 2022 – Première Mondiale – Grand Prix Giornate Degli Autori
Festival International du Film Indépendant de Bordeaux – France 2022 – Prix Erasmus du Meilleur Film
Festival Chéries-Chéris – Paris 2022 – Compétition officielle
Festival Écrans Mixtes – Lyon 2023- Prix du Jury 

Ana Ana Cabral • Luis Ruben Pimenta • Cloé Cristiana Branquinho • Paulina Marlene Cordeiro • Telmo João Tavares • Simão Nuno Ferreira • Amélia Luísa Alves • Lucinda Maria Furtado • Manuel Mário Jorge Oliveira

 Réalisation Cláudia Varejão • Scénario Cláudia Varejão Collaboration scénario Leda Cartum • 1er assistant réalisatrice Emilio Miguel • Directeur de la photographie Rui Xavie • Direction artistique Nadia Henriques • Décors Maria Ribeiro • Son Olivier Blanc • Mixage Bruno Tarrière Montage João Braz Etalonnage Julia Mingo • Directrice de production Celeste Alves Producteur João Matos • Coproducteur Jérôme Blesson • Production Terratreme Filmes, La Belle Affaire Productions Ventes Internationales MPM Premium

Claúdia Varejão

Claúdia Varejão est née à Porto et a étudié au sein du programme de Créativité et de Création artistique de la Fondation Calouste Gulbenkian en partenariat avec le German Film und Fernsehakademie Berlin et l’Académie internationale du film de São Paulo. Elle a également étudié la photographie à ARCO à Lisbonne. Claúdia est l’auteur de la trilogie des courts métrages Fim-de-Semana, Um Dia Frio et Luz da Manhã. Ama-san, un portrait de plongeuses japonaises, a été son premier long métrage et a reçu des dizaines de prix à travers le monde, suivi de Dans l’obscurité du cinéma j’enlève mes chaussures et Amor Fati. Loup et Chien est son premier long métrage de fiction qui a fait sa première au Festival de Locarno suivi d’une trentaine d’autres. Le point commun dans le travail de Claúdia, que ce soit dans la photographie ou le cinéma, le documentaire ou la fiction, est qu’il se construit dans une grande proximité avec ses sujets.

Filmographie sélective
Court-métrage
2011 : LUZ DA MANHÃ
2009 : UM DIA FRIO
2007 : FIM-DE-SEMANA
2004 : FALTA-ME


Long-métrage
2022 : LOBO E CÃO (LOUP & CHIEN) (Fiction)
2020 : AMOR FATI (Documentaire)
2016 : AMA-SAN (Documentaire)
2016 : NO ESCURO DO CINEMA DESCALÇO OS SAPATOS (Documentaire)

ENTRETIEN AVEC CLÁUDIA VAREJÃO

Comment est née l’idée de Loup et chien ?

Il y a toujours une image, une conversation, quelque chose que l’on entend ou que l’on voit et qui déclenche en nous le désir de faire un film. Dans le cas de Loup et chien, c’est une scène à laquelle j’ai assistée. En 2016, j’étais invitée en résidence artistique sur l’île de São Miguel. Dans les premiers jours de mon séjour, je suis descendue sur un lieu de pêche proche du lieu où je résidais. Je me suis assise sur un muret pour regarder un groupe de pêcheurs qui nettoyait leurs filets. C’étaient des hommes avec des corps puissants, des bras tatoués, des jambes et des visages sculptés par la souffrance et la vie marine. Il n’y avait pas une seule femme à l’horizon, c’était un environnement masculin quasi clos. Je les observais à distance et, soudain, j’ai vu un groupe de filles s’approcher. Elles étaient jeunes et jolies et portaient des robes légères, leurs visages étaient maquillés. En passant, elles m’ont souri et j’ai réalisé qu’elles étaient de jeunes femmes transgenres. Les voyant marcher vers le groupe de pêcheurs, je me suis vraiment demandé s’ils allaient bien se comporter avec elles. J’ai continué à suivre la scène du regard et, à ma grande surprise, le groupe de jeunes femmes s’est approché des pêcheurs qui les ont pris dans leurs bras et les ont embrassées. J’ai compris qu’ils et elles étaient proches, qu’ils avaient des liens familiaux. Apparemment, ces mondes opposés savaient communiquer entre eux même s’il y avait une certaine tension. J’ai attendu que les filles repassent vers moi pour échanger avec elles. C’est là que tout a commencé. Quelques années de recherches, d’écriture et de production plus tard, Loup et chien est né.

Quelle place a le film dans votre filmographie, est-ce qu’un lien s’établit avec vos films précédents ?

Les recherches et le procédé de construction de Loup et chien s’est déroulé exactement de la même façon que mes documentaires : mon intérêt pour quelqu’un, mon installation à proximité du lieu de vie de cette personne, une espèce d’enquête afin de réunir du matériel narratif et visuel, le casting et, en même temps, l’écriture et la réécriture incessante. Ce qu’il y a de plus dans ce film, c’est que dès le départ, je savais que j’aurais un budget plus important et que je pourrais travailler avec une équipe plus grande que d’habitude et, par la même, être plus ambitieuse techniquement. Je me suis autorisée à utiliser la fiction comme un endroit de liberté pour les personnages. Beaucoup des jeunes gens du film, dans leurs vies quotidiennes, ne se permettent pas d’être qui ils sont vraiment. Cela a été rendu possible uniquement en passant par la fiction. Mais la grammaire de cinéma est toujours la même.

Qu’est-ce qui vous a attiré dans ce territoire des Açores et plus particulièrement dans cette île de São Miguel ?

J’étais très intéressée par les récits particuliers liés à cet endroit : la façon très musicale de parler le portugais, les traditions culturelles, la présence très profonde de la religion, les légendes locales pleines de mystère, et, avant tout, l’impressionnante polarité entre les générations. J’aime aussi les lieux qui ont des qualités cinématographiques telles que celles de l’île de São Miguel. Le plus grand défi pour moi, c’était de parvenir à capturer tout ça. J’avais eu ce même sentiment d’enchantement, il y a quelques années, lors du tournage d’un film au Japon, consacré aux Amas, des pêcheuses sous-marines. J’ai ressenti le même coup de foudre avec cet endroit qu’avec cette île.

Quelles étaient les spécificités de l’île en termes de genre ?

Les îles sont des lieux de paradoxe : d’un côté, les gens vivent entre eux, en vase-clos, et, d’un autre, la mer représente un accès direct au reste du monde. J’ai aussi vu là-bas, et plus encore dans les milieux populaires, une attribution des rôles genrés très stéréotypée : les femmes sont toujours beaucoup associées aux tâches domestiques et à celles liées aux enfants et les hommes au travail physique, comme la pêche ou l’agriculture. Les jeunes générations grandissent dans ce contexte tout en ayant une vraie connexion au reste du monde grâce aux réseaux sociaux virtuels. Ce sont des jeunes gens avec de nouveaux outils qui savent que la vie peut être plus belle que celle qu’ils vivent chez eux. Ils sont le pont vers la vie, même s’ils ne sont pas reconnus comme tels par de nombreux insulaires.

Comment décririez-vous les trois personnages principaux du film, Ana, Luis et Cloé ?

Ana est une jeune fille très connectée à son monde intérieur et un peu contemplative. Au travers de ce qu’elle voit, elle construit en silence le monde dont elle rêve pour elle-même. Ana est un peu la petite voix en chacun de nous, libre et perchée. Luis est celui qui casse tous les modèles quant à son rôle social. Il ne le fait pas dans un esprit de combat mais par sens de la liberté et malgré le regard desautres, et, particulièrement celui de son père et de ses camarades de classe. Il a en lui la force d’un volcan, qui pourrait exploser à tout moment. Cloé est une comète dans le ciel d’Ana. Elle apporte avec elle toute la brillance de la jeunesse. En traversant la vie d’Ana, elle éclaire le chemin à venir de celle-ci en lui offrant la légèreté, la sensualité et l’ouverture aux expériences. C’est un personnage qui stimule les plaisirs des sens.

Les croyances ancestrales et la religion sont très importantes dans la vie de l’île. Comment avez-vous pensé à lier ces thèmes à ceux soulevés par la communauté LGBTQI++ ?

Je voulais avant tout regarder la vie des gens et raconter les histoires qu’ils m’offraient. Le catholicisme est à la base du dégout de certains pour la diversité de l’humanité avec le rejet des unions de couple de même sexe, la non acceptation des vies et des corps trans, la vision de la sexualité comme le territoire de la procréation, le rejet du plaisir corporel. La vérité, c’est que ces convictions continuent de se propager grâce à la peur et à la pauvreté. Ces comportements sont encore extrêmement visibles dans la vie des gens. Un film qui parle de la jeunesse et de la diversité doit montrer cela mais aussi les oppositions.

Paul B. Preciado est cité dans le film, pourquoi c’était important pour vous ?

L’idée majeure que Preciado apporte au film est que, malgré notre apparente fragilité, c’est dans l’habilité que nous avons à nous défaire des codes de genre et à trouver notre identité. L’idée que le courage doit être compris d’une façon différente de ce qui nous a été dit toute notre vie : il faut du courage pour s’écarter de la norme, se risquer à emprunter d’autres chemins, d’autres peaux, d’autres voix. Il y a une nécessité à comprendre ce que la diversité représente dans le combat de la vie de tous les jours. Le manque de diversité est synonyme de pauvreté, d’inaptitude à envisager les défis de la vie, c’est la mort de nos corps et de nos esprits.

En termes de mise en scène et d’esthétique, quels étaient vos intentions, vos désirs ?

Mon plus grand désir a toujours été de lier la réalité et la fiction dans une danse intime. Quand cet équilibre entre les mondes est atteint, l’histoire prend vie d’elle-même et me permet de la contempler et de l’écrire avec mon regard, les sons et les images. En voyant le film aujourd’hui, je reconnais que j’ai marché à plusieurs reprises à cet endroit précis.

Pouvez-vous nous en dire plus sur le projet (A)MAR ?

La phase de casting a été longue pour ce film et seulement avec des gens de l’île de São Miguel. Il y a eu plus de mille rencontres et la phase de sélection a duré plus de 8 mois. J’ai parlé à des centaines de jeunes et eu accès à leurs mondes intimes qui, la plupart du temps, étaient remplis de tristesse et de solitude. J’ai entendu des histoires de rejet, de harcèlement, d’agression physique et, souvent, sexuelle. Il y a eu tellement de témoignages concernant cette violence qu’en parlant avec mon assistant, j’ai réalisé que nous avions besoin d’aide pour les aider. C’est comme cela que, au milieu du processus de casting, j’ai fait appel à un groupe de psychologues et de travailleurs sociaux de l’île pour m’aider à créer un espace permettant d’apporter une réponse professionnelle à la population LGBTQI++ de ces îles. São Miguel fait partie d’un archipel de 9 îles et aucune d’entre elles n’avaient à ce moment-là, un lieu de soutien de ce genre. C’est comme cela qu’est né le centre (A)MAR, un lieu d’écoute et de soutien des jeunes LGBTQI++ et de leurs familles.

Je ne l’ai pas fait pour des raisons purement altruistes. Je l’ai aussi fait parce que j’avais besoin d’aide pour construire le film. Je ne pouvais pas faire un film avec eux et prétendre ignorer ce que ces personnes traversaient dans leurs parcours de vie. Le cinéma, quand il s’intéresse à des gens qui ne sont pas acteurs professionnels, se confronte à la réalité dans un sens politique. La création de ce centre était une extension de notre travail et une contribution sociale. Je suis heureuse que le centre, après plus d’un an, ait pu soutenir de nombreux jeunes et qu’il fonctionne de façon autonome tout en ayant créé de nombreux liens avec les entités politiques locales.

A quoi le titre Loup et chien fait-il référence ?

Le titre vient d’un poème du portugais Sá de Miranda qui évoque ce qui existe entre le loup et le chien. Le chien pourrait être l’animal associé à Ana, plus assignée à son rôle, et Luis serait le loup, le danger et la sauvagerie. Est-ce que ces rôles leur conviennent ? Ressemblent-ils vraiment à ce à quoi on les associe ou sont-ils tout simplement le contraire ? Ou sont-ils l’incarnation de tout ce qui peut exister entre ces deux opposés, sans avoir à se définir. Ce qui existe entre deux opposés comme le jour et la nuit, c’est le crépuscule, une lumière que j’ai tentée de suivre dans le film : ce bleu insulaire et nostalgique. Ce bleu est un moment fugace, comme la jeunesse elle-même, qui est entre l’enfance et l’âge adulte et qui reste dans nos vies comme un souvenir, et, la plupart du temps, comme une phase de liberté. Vivre entre deux opposés, sans peur de l’infinité de nuances, c’est l’idéal de la diversité humaine. J’aime poser mon regard sur ce monde de l’entre-deux et pouvoir être qui je veux.

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