Le lundi 31 mars 2025 restera marqué d’une pierre blanche. Pas seulement parce que la condamnation de Marine Le Pen à cinq ans d’inéligibilité, assortie de l’exécution provisoire, dans l’affaire des assistants parlementaires européens du Rassemblement National a secoué le paysage politique hexagonal. Clap de fin ? En ce qui nous concerne directement, c’est celui de l’association Les enfants de cinéma que nous retiendrons. Une dissolution qui avait été annoncée dès le 2 avril 2024, quelques mois après la disparition brutale d’Eugène Andréanszky – compagnon de longue date du GNCR – qui en fut le Président pendant près de 20 ans. Créée en 1994 sous l’impulsion d’une poignée de passionné·es, l’association a mené, pendant 30 ans, une réflexion approfondie sur le cinéma, les images et le jeune public. C’est elle qui, missionnée par le Centre National du Cinéma, a mis en œuvre le dispositif historique « École au cinéma », précurseur de « Ma classe au cinéma », dispositif d’éducation aux images en temps scolaire le plus massif, qui, aujourd’hui, s’étend de la maternelle au lycée. Chaque année, il permet à près de 2 millions d’élèves de découvrir une grande diversité de films, avec un accompagnement pédagogique de leurs enseignant·es. Or, si nous en parlons ici, c’est que cette disparition est lourde de symboles, car elle arrive à un moment où l’éducation aux images connaît d’importants remous, louvoyant entre des enjeux de plus en plus complexes liés notamment au développement des nouvelles technologies de l’image et des politiques publiques fluctuantes en matière d’éducation artistique. Sans compter les évolutions des pratiques pédagogiques (liées aux fameuses « directives Attal » à l’origine des nouvelles modalités de formation et de remplacement des enseignants), les difficultés de financement par les collectivités territoriales, mais aussi le glissement des modes de financement des dispositifs scolaires vers la part collective du pass Culture, laquelle pourrait ne pas être complètement préservée, voire être remise en cause dans un contexte de restrictions budgétaires. Face à ces difficultés croissantes et conscients de tous les enjeux liés à l’éducation aux images, les ministères de l’Éducation nationale et de la Culture ont confié une mission à M. Édouard Geffray, conseiller d’État et ancien Directeur général de l’enseignement scolaire. Celle-ci vise à revoir les modalités d’organisation et de mise en œuvre de « Ma classe au cinéma » et, plus largement, à repenser le modèle d’éducation aux images en temps scolaire. Or, force est de constater que, depuis plusieurs années, ce modèle, dont la richesse était indéniable, est en nette régression. Curieusement, ce recul coïncide avec le dessaisissement par le CNC de l’association Les enfants de cinéma de la coordination nationale du dispositif « École et cinéma » qui constituait sa mission principale. En confiant la coordination du dispositif ainsi que celle de « Collège au cinéma » à une autre association, le CNC avait pourtant clairement affiché sa volonté de les voir « s’améliorer ». C’était il y a 7 ans et, depuis, on a, au contraire, le sentiment qu’a été mise en œuvre une politique de repli et d’abandons concernant les dispositifs d’éducation au cinéma, adossée à la volonté concomitante du ministère chargé de l’Éducation nationale de les minimiser. Cela se traduit par un amoindrissement très net du contenu artistique accentué par l’absence de formation des enseignants. Par ailleurs, certaines coordinations nous rapportent une offensive des circuits pour s’inscrire dans les dispositifs et combler leur perte de fréquentation… Dans ce contexte, souhaitons que la mission confiée par les deux ministères à M. Geffray – avec lequel nous avons eu des échanges riches et que nous espérons également fructueux – puisse infléchir cette impression de désengagement de l’État en faveur d’une politique d’éducation artistique et culturelle exigeante. Souhaitons que l’on puisse retrouve l’esprit qui a longtemps animé les dispositifs, insufflé tout autant par les élèves eux-mêmes que par les enseignant·es, cinéphiles et militant·es, les salles associées, les cinéastes engagé·es, les maisons de distribution, les structures associatives nationales (le GNCR bien sûr, mais aussi l’Agence du court métrage, Images en bibliothèques, Passeurs d’images…), comme régionales (l’Acap, Ciclic…) et moult associations qui irriguent le territoire (pôles images, associations de salles, circuits itinérants, associations culturelles et une multitude de festivals solidaires…) souvent soutenues par les collectivités territoriales, qui ont fondé, bâti cet édifice, fédéré, mobilisé jusque dans les zones rurales. Un réseau d’une richesse exceptionnelle qu’il faut impérativement continuer à soutenir et que des politiques publiques trop éloignées du terrain pourraient fragiliser. « Enfants de cinéma, beaucoup le sont sans le savoir, ou le sont devenus, ou le deviendront, et cela a été l’enjeu passionné qu’aura porté, 30 années durant, notre association, Les enfants de cinéma. » Ce sont les mots d’aurevoir de Geneviève Troussier, sa présidente – qui fut aussi présidente du GNCR –, laquelle continue son combat acharné en faveur de la transmission et de « l’art d’aimer le cinéma » cher à Jean Douchet. Mais aussi cher à Eugène Andréanszky : « Mon vœu le plus cher, serait qu’à l’école de la République de demain, chaque enfant, chaque année, de la maternelle à la terminale rencontre le cinéma comme art à aimer, à partager, à vivre aussi avec un·e enseignant·e – passeur·euse, véritable pédagogue du cinéma ! Car comprendre et aimer le cinéma c’est aussi comprendre et aimer mieux l’humanité ! » confiait-il en 2012 (La Lettre d’information des pôles régionaux d’éducation artistique et de formation au cinéma et à l’audiovisuel). Le 31 mars, l’association Les enfants de cinéma s’est éteinte, mais voilà ce qui pourrait éclairer notre chemin pour les années à venir. À bon entendeur… Gautier Labrusse Président du Groupement National des Cinémas de Recherche |
