Dans l’hexagone, on compte très précisément 2 056 établissements cinématographiques, 6 322 écrans et, détail qui intéresserait probablement nos spectateur.ice.s car c’est là où ils usent leurs fonds de culotte, 1 159 978 fauteuils. On ne vous apprendra rien, mais toutes ces salles font partie d’une seule et unique fédération, notre sacro-sainte Fédération Nationale des Cinémas Français qui, donc, nous représente d’une seule voix, là où on pourrait évidemment s’attendre à une cacophonie tant la variété des salles suppose des préoccupations et des intérêts souvent divergents. Certes, les associations de salles comme l’AFCAE et le GNCR – au-delà de leur participation au Bureau de Liaison des Organisations du cinéma – s’assoient parfois autour de la table et sont consultées par les pouvoirs publics, à l’instar du SCARE, syndicat affilié à la FNCF, mais c’est la Fédération qui orchestre le consensus et défend nos intérêts. Elle appelle aussi de ses vœux à la solidarité de notre filière. C’est en tout cas ce à quoi elle nous a conjurés lors de son dernier grand rassemblement à Deauville où se tenait son congrès annuel : la petite, la moyenne et la grande exploitation, main dans la main pour la photo de famille. Les distributeurs (il en reste quelques-uns) et les éditeurs de films, tout sourire sur la photo de mariage. Hum… On ne va quand même pas se cacher que les crispations sont nombreuses. A commencer par les reproches qu’adresse la grande exploitation aux salles de cinéma « municipales » (celles en régie directe ou en délégation de service public) et aux salles subventionnées en raison des tarifs peu élevés qu’elles pratiquent : cela constituerait une forme de concurrence déloyale. Il faut dire que ce sont les circuits qui, depuis le début de l’année 2024, accusent le retard de fréquentation le plus important. Et ça les rend très offensifs, voire très agressifs, comme l’a démontré l’épisode des cartes illimitées à Paris. Beaucoup de salles, qui font partie ou non de notre réseau, sont ainsi victimes des pressions que, sans aucun doute, ils exercent de tout leur poids sur les distributeurs/éditeurs de films. Elles ne se sentent plus totalement libres de leur programmation, l’accès à certains films en sortie nationale leur étant refusé pour préserver une exclusivité aux circuits. Ou, les conditions de sortie qui leur sont proposées sont telles qu’elles ne peuvent y accéder sans détricoter une ligne éditoriale incluant une diversité de programmation. Ce qui revient à les exclure. Presque pire même, certains distributeurs cèdent aux sirènes du porte-monnaie (bientôt, on adoptera le Box-Office) et tendent à privilégier les circuits y compris pour les films à vocation purement art & essai. C’était en partie l’objet de notre tribune commune avec l’ACID qui a fait grincer quelques dents, y compris dans nos rangs. Mettre les pieds dans le plat, ça permet d’éviter de tourner autour du pot. Et de lancer le débat, tant « il est nécessaire qu’il y ait une vraie discussion constructive, entre exploitants et distributeurs, avec des gens responsables et apaisés. » Apaisés, je ne sais pas, en revanche nous ne sommes pas totalement irresponsables et cela fait belle lurette que nous appelons de nos vœux une « vraie discussion constructive ». Car le constat c’est que le secteur de l’exploitation (quelle vilaine appellation décidément) est contaminé par une idéologie de marché qu’accommodent à leur convenance ceux qui la prônent. On ne devrait pourtant que se féliciter des salles, municipales comme privées, pratiquant des politiques tarifaires justes et accessibles au plus grand nombre. Et on ne devrait pas perdre de vue que les salles incriminées, dans l’intérêt général de l’ensemble de la filière, favorisent le maillage de tout le territoire et l’accès aux films – dont on voudrait qu’ils soient de la diversité – au plus grand nombre. Quand on parle de solidarité nécessaire, c’est aussi vite oublier que ce sont les plus gros acteurs du secteur qui s’affranchissent régulièrement des mécanismes de législation et de régulation mis en place pour permettre que coexistent des salles et des films aux typologies différentes. Aucune salle en France n’a intérêt à ce que les circuits se portent mal. Le cinéma étant un écosystème, dans l’intérêt de toutes les salles et celui de leurs publics, il est même préférable qu’ils se portent bien. Mais pas au profit des un.e.s et au détriment des autres. C’est la raison pour laquelle nous continuerons à être combatif.ive.s afin que soit préservée une diversité duale : des salles et des films, la diversité des un.e.s ne pouvant s’envisager sans celle des autres. La solidarité prônée par la FNCF est nécessaire, voire indispensable, à condition qu’on ne se trompe pas de cible et que l’on se batte tous ensemble pour préserver au cinéma sa dimension artistique et culturelle. C’est celle-ci qui, aujourd’hui, est menacée, tout comme sont menacées les valeurs que véhiculent les arts et la culture et le pouvoir qu’ils ont d’amuser, d’instruire, de former, de « citoyenniser ». Tout cela ne devrait pas se marchander. Pourtant, force est de constater l’affadissement et l’affaiblissement des ambitions portées par les politiques culturelles, de plus en plus souvent sacrifiées sur l’autel de la performance budgétaire et de la rentabilité. Laurent Wauquiez, président de la Région Auvergne Rhône-Alpes, a fait de la culture un champ de bataille. D’autres régions lui emboîtent dangereusement le pas avec l’annonce de coupes drastiques dans les crédits alloués à la culture pour 2025. Avec une forte propension à stigmatiser des associations « très politisées, qui vivent d’argent public. » On a déjà évoqué ici la faillite morale des hommes et femmes politiques qui ont intégré dans leur logiciel l’idéologie nauséabonde de l’extrême droite. Dans le bras de fer qui oppose aujourd’hui le Festival des 3 Continents à la présidente du conseil régional des Pays de la Loire Christelle Morançais, on retiendra ces mots lumineux de Jérôme Baron, directeur artistique du Festival : « Les arts et la culture nous aident à mieux vivre nos vies, à les penser en les partageant. Ils ne sont pas accessoires, secondaires, subsidiaires, ils sont seulement les signes les plus élevés de notre humanité. Les négliger, les tenir pour marginaux, c’est s’attaquer à la société bien au-delà des artistes eux-mêmes. » Donc, ne nous trompons pas de combat et, oui, serrons-nous les coudes et reprenons tous en chœur, avec Djadja & Dinaz : « Ça fait So-so-solidaire / So-so-so solidaire / On est tous solidaires. » Gautier Labrusse Président du Groupement National des Cinémas de Recherche |
