Le 26 juillet, c’est la Sainte Anne et ce jour-là aura été fidèle au dicton : « Pluie de Sainte Anne est une manne. » Avec plus de 22 millions de téléspectateurs dans l’Hexagone, près de 2 milliards sur la planète, 326 000 spectateurs répartis sur un parcours de 6,3 kilomètres entre le pont d’Austerlitz et le pont d’Iéna, 58 000 policiers, militaires et personnels de sécurité, 22 000 journalistes accrédités, 10 500 athlètes, la cérémonie d’ouverture des JO était hors normes, incomparable et bien au-delà de tout ce qu’on pouvait en attendre. On pensera ce qu’on voudra du spectacle qu’a offert Thomas Jolly à 4 milliards d’yeux médusés, de ses outrances, des ripailles de ses dieux olympiens, des icônes qu’il a détournées – de Lady Gaga en Zizi Jenmaire à Céline Dion en Piaf, en passant par Aya Nakamura et la Garde Républicaine enamourée -, la cérémonie était un hymne hors pair aux arts et à la culture, aux valeurs qu’ils défendent, stimulent, propagent intrinsèquement : la diversité, le partage, l’inclusivité dont la France a été le fer de lance aux yeux du monde, le temps d’une chevauchée sur la Seine, celle de Jeanne cuirassée sous une pluie battante, faisant mentir un autre dicton : « S’il ne pleut pas pour Sainte Anne, n’espère que Sainte Jeanne. » Il pleuvait à Paris, dans le monde entier, sur nos joues, dans nos cœurs, des larmes d’émotion et de joie, mais aussi des litres d’hémoglobine, le sang de la liberté et de Marie-Antoinette décapitée, la tête tenue entre ses mains, entonnant le chant révolutionnaire « Ah, ça ira, ça ira… » sous un déluge de notes déchaînées, apocalyptiques, crachées par les metalleux frenchies Gojira depuis la Conciergerie. Un festin visuel et sonore, du gore pour les gorets affamés que nous étions, aussi grandiose que grand-guignolesque. En fait de têtes décapitées, il est un roi indétrônable. Non pas pour son record d’audience absolu (son annonce du confinement en avril 2020 avait été suivie par 36,7 millions de téléspectateurs !), mais parce qu’il n’a, a priori, jamais été couronné. En revanche, il a transcendé la formule du Général : « L’élection présidentielle est la rencontre d’un homme et d’un peuple. » Celle-là même que François Bayrou avait reprise à son compte, exprimant l’alchimie irrationnelle qui opère lorsque le peuple élit le président de la République et fait de lui un souverain empruntant à la monarchie. Pour le locataire actuel de l’Elysée, « l’élection présidentielle est la consécration d’un homme guidant le peuple. » Plus qu’un monarque républicain, lui serait donc un président d’essence quasi divine !? D’aucuns le surnomment d’ailleurs Jupiter. Pourquoi pas Eole, tant il souffle la pluie et le beau temps ? Passe pour la pluie de Sainte Anne. Mais la dissolution à la Sainte Diane !? Avec le risque de pénurie qui nous guettait : « Pluie à la sainte Diane, ni grain au grenier, ni vin au cellier. » !? Le gouvernement provisoire, transitoire, intérimaire, éphémère et son record de durée !? Tant qu’il l’aura sur les épaules, il n’en fera qu’à sa tête qu’on ne lui souhaite pas de perdre. Dans notre propre intérêt. De Thomas Jolly à Michel Barnier, de l’eau a coulé sous les ponts, ceux de Paris et d’ailleurs. En regardant de près les têtes, nouvelles et anciennes, que notre « French Joe Biden » est allé chasser pour composer son trombinoscope, il y a de quoi faire La Tronche (c’est aussi là où il est né) et passablement s’inquiéter. Certes, côté culture, rien n’a changé : Rachida Dati reste bien accrochée au ministère. Mais, dans l’ensemble, la liste des ministres qui se sont illustrés dans le passé par leurs votes réactionnaires, sexistes, racistes et en particulier homophobes et transphobes est longue comme le bras ! Le gouvernement Barnier est une coalition inédite entre le centre et la droite qui, a priori, ne pourra se maintenir qu’à condition de mener une politique d’austérité, de répression et de réaction qui se plie aux exigences du Rassemblement national. Bruno Retailleau a d’ailleurs rapidement donné le ton. Cela confirme, comme nous nous en étions déjà alertés, qu’une grande partie de la classe politique française est tombée dans l’embuche, aussi bien électorale que morale et culturelle, qu’on lui a tendue : à courir après une extrême droite qui, sondage après sondage, se rapproche toujours plus du pouvoir, celle-ci est parvenue à sceller sa légitimation et sa mainmise idéologique sur celles et ceux qui nous gouvernent et qui avaient pourtant été élus pour lui faire barrage. En un geste artistique, Thomas Jolly était parvenu à nous rendre La Pucelle, jeune fille du peuple, symbole de la défense du pays contre les préjugés, effaçant par là-même 30 ans de captation mémorielle par l’extrême droite. Il est fort à parier que le Rassemblement National se la réappropriera le 1er mai et en fera à nouveau le symbole de la défense du pays contre l’envahisseur étranger. Ce que nous vivons est indubitablement une faillite morale et cela rend les perspectives pour l’avenir d’autant plus inquiétantes. Que pourront encore les arts et la culture demain ? Resteront-t-ils des antidotes efficaces contre les idées reçues, préconçues et la martyrisation d’une partie de la population ? Parviendront-ils à encore défendre, stimuler, propager les valeurs qu’ils partagent intrinsèquement ? Rien n’est moins sûr, surtout si la censure (pas celle de la motion) s’en mêle… : « Ah ! ça ira, ça ira, ça ira ? / Réjouissons-nous, le bon temps viendra ? » Gautier Labrusse Président du Groupement National des Cinémas de Recherche |
