Mars 2025 : Paillettes Inquiètes

Editos
Côté shows télévisés, il y avait l’embarras du choix le vendredi 28 février dernier en soirée. Entre le bureau ovale transformé en boardroom où Trump nous a fait une resucée de sa téléréalité The Apprentice en virant Zelensky comme un malpropre et le tapis rouge tiré par Bolloré pour la 50e Cérémonie des César. Le premier a d’ailleurs été tellement expéditif qu’on pouvait enchaîner sur le second sans en perdre une miette. Là, au moins, tout le monde était sur son 31 et personne n’a eu l’outrecuidance de parader en t-shirt et en jean. Pas sûr non plus d’avoir aperçu de cravate rouge. En revanche, il y aurait beaucoup à redire sur les chaussettes de Pierre Niney, l’une arborant une photo de François Civil, l’autre de Benjamin Lavernhe, eux aussi nommés pour le César du meilleur acteur : il avait parié sur le mauvais cheval… Au petit jeu des pronostics, les bookmakers n’ont pas dû rafler la mise car les surprises ont été de taille, qu’il s’agisse des César attribués à Hafsia Herzi et Karim Leklou que celui attribué à Gilles Perret pour La Ferme des Bertrand. De Vingt Dieux à Emilia Pérez, la diversité des films récompensés reflète bien un cinéma français pluriel qui, au passage, mériterait mieux que les commentaires approximatifs d’une influenceuse de mode, pas vraiment la personne de la situation… En fait de commentaires, il y a eu ceux aussi d’Agnès Hurstel, empruntant le ton de Jean-Michel Larqué lorsqu’il commentait les matchs de football en tandem avec Thierry Roland avec son « Tout à fait, Thierry » adressé à Thierry Chèze. À son comique de répétition, elle a ajouté une touche plus ou moins heureuse, de son « J’ai très chaud… wouah ! » à la montée sur scène de Clive Owen à sa révélation surprenante « Écoutez, je peux vous le dire maintenant, je n’ai pas vu Emilia Pérez ». De quoi élargir l’audience de la cérémonie à d’autres publics que « l’entre-soi des bobos caviar subventionnés par les Français », comme dirait Max Guazzini. Après le bureau ovale et le ballon rond, retour à l’ovalie : « Ce film est trop réussi, a trop de succès, est trop populaire pour ce petit monde du cinéma qui se prend pour le nombril du monde et qui n’en est que le trou du c… », a pesté l’ancien président du Stade Français, plein d’élégance à propos du Comte de Monte Cristo. Quatorze nominations mais « seulement » deux trophées reçus pour les décors et les costumes. C’est vrai que la 50e édition des César n’a pas été très généreuse avec l’adaptation libre de l’œuvre d’Alexandre Dumas par Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte. À notre grand dam, elle ne l’a pas été non plus avec Miséricorde, d’Alain Guiraudie, film soutenu par le GNCR conjointement avec l’AFCAE, pourtant nommé huit fois dans des catégories majeures. Voilà le grand oublié ! Pour le reste, la cérémonie des César a été égale à elle-même, c’est-à-dire très inégale. De l’humour plus ou moins potache : de la nomination d’Emilia Pérez pour le « meilleur tweet » selon Jean-Pascal Zadi au prix du « meilleur acteur qui n’a jamais reçu de César » de Franck Dubosc, autodérision plutôt cocasse, en passant par les remerciements totalement décousus, faute d’un discours égaré, d’Alain Chabat, particulièrement réjouissant. De la politique aussi : à commencer par Catherine Deneuve qui, mal remise de l’humiliation subie par Volodymyr Zelensky à la Maison-Blanche et arborant un pin’s aux couleurs du drapeau ukrainien, a dédié les César 2025 à l’Ukraine ; mais il y a eu aussi la diatribe de Gilles Perret contre les milliardaires et l’extrême droite, ainsi que sa dédicace aux travailleurs ; la dénonciation par Jonathan Glazer de l’instrumentalisation de la Shoah à Gaza ; les remerciements de Costa-Gavras à « la France accueillante » ; l’appel de Vincent Macaigne à « célébrer la fiction, le théâtre, ce premier pas de l’humanité vers la démocratie. Applaudir pour chasser les fantômes et célébrer un avenir meilleur ». Enfin, il y a eu le traditionnel « casse-couilles » qui interpelle la ministre de la culture. Là, c’était Josiane Balasko. « Rien de personnel, Madame la ministre ! » a-t-elle assuré avant d’évoquer les menaces pesant sur le financement du cinéma. « À l’heure où Trump veut bloquer toutes les formes d’obligations d’investissement dans le cinéma, ce qui serait extrêmement préjudiciable pour le nôtre, il est vital qu’une Europe de la culture soit créée (…) pour pouvoir gagner ce bras de fer. » « Une toute petite digression », comme elle l’a indiqué, dans une presque trop grande discrétion, pour ce qui concerne l’un des enjeux essentiels qui nous attendent.

À l’exception du prix décerné à Alain Chabat pour son rôle dans L’Amour ouf, toutes les récompenses dans les catégories prestigieuses ont été attribuées à des films recommandés Art & Essai. On ne peut que s’en réjouir, même si, paradoxalement, l’année 2024 a été moins favorable aux films Art & Essai que 2023, avec un manque de titres porteurs, certes essentiellement américains, et une part de marché en recul de 10,1%. Seuls 4 films ont dépassé la barre du million d’entrées contre 9 en 2023. Si l’année a été moins profitable pour les films Art & Essai, en revanche la part de marché des salles Art & Essai a encore progressé. Il faut y voir un signe positif, l’attractivité de nos salles, leur éditorialisation et leurs politiques de médiation et d’animation qui favorisent une fidélisation des publics et un regain de fréquentation. Néanmoins, à l’appui des conclusions de l’observatoire de la diffusion, mais aussi des premières remontées des commissions régionales pour le classement Art & Essai, d’autres signes et phénomènes moins encourageants ne sont pas à négliger, en vrac : un raccourcissement de la durée de vie des films Art & Essai de manière générale et des plans de sortie largement réduits en termes de profondeur et de densité pour les films Recherche et Découverte en particulier, avec un recul qui s’accentue du nombre moyen de séances par établissement et par film, notamment dans les établissements les plus importants, paquebots de l’Art & Essai. Si, par ailleurs, l’année 2023 s’était soldées par un rééquilibrage du marché en faveur des exploitants et des distributeurs indépendants, le fait que seuls trois films du « Top 10 de la fréquentation Art & Essai 2024 » soient portés par des distributeurs indépendants est un autre signe particulièrement alarmant sur l’état de la diversité de la création et de la diffusion cinématographique en France. Pour en revenir aux films labellisés R&D, incontestablement, ils sont de moins en moins bien exposés, autant parce qu’ils ne bénéficient plus de plans élargis que parce que le nombre de séances qui leur sont accordées se réduit encore. Face à cette situation et inquiet de leur fragilisation extrême et des risques concomitants qu’encourent la diversité et l’émergence de nouveaux talents, soyez persuadés que le GNCR restera vigilant et mobilisé à vos côtés autour du soutien et de l’accompagnement des films qui font l’ADN de notre association.

Gautier Labrusse
Président du Groupement National des Cinémas de Recherche