Edito – juillet/août 2023
C’est la trêve estivale, synonyme de chaleur, baignades, barbecues, hamac ou transat et farniente, avec une grosse baisse d’intensité dans nos salles. Heureusement, pour garder le rythme et ne pas trop perdre en endurance, on pourra maintenir l’entraînement avec de très beaux films soutenus par le GNCR qui émailleront l’été : Passages, d’Ira Sachs, toujours à l’affiche ; La Bête dans la jungle, l’adaptation très libre de la nouvelle d’Henri James par Patric Chiha ; Kasaba, le retour au cinéma pur signé Nuri Bilge Ceylan ; Paradis où Alexander Abaturov raconte, dans un documentaire visuellement puissant, un désastre écologique nourri par le cynisme capitaliste. Et on enchaînera à la rentrée avec un soutien hebdomadaire, en commençant par Le Gang des bois du temple, film de braquage de Rabah Ameur-Zaïmeche qui subvertit subtilement le genre ; en poursuivant par Le Grand chariot, où Philippe Garrel réunit pour la première fois à l’écran ses trois enfants (Louis, Esther et Lena) pour raconter la destinée romanesque et tragique d’une fratrie d’artistes marionnettistes ; L’Arbre aux papillons d’or, enfin, épopée contemplative en campagne vietnamienne, premier film de Thien An Pham qui a obtenu la caméra d’or au Festival de Cannes. De quoi rester mobilisés et maintenir l’attention du public. Mais, une fois la trêve expirée, il nous faudra rapidement raviver aussi l’attention de l’opinion, des pouvoirs publics et des responsables politiques afin de rebondir sur les différents rapports publiés ces derniers mois, de celui de M. Lasserre à celui de M. Karoutchi, en passant par celui de la commission culture du Sénat. Mieux vaut battre le fer quand il est chaud et ne pas risquer que ne retombe la mobilisation des organisations et structures professionnelles, soudées autour de la préservation et de l’amélioration de notre modèle. A l’aune de ces rapports et du bilan de la réforme Art & Essai, Il faudra, comme cela a été engagé en lien avec les autres organisations professionnelles et le CNC, continuer à chercher les mécanismes pour une meilleure régulation de notre secteur et la préservation de la filière indépendante. Le premier chantier qui nous réunira est celui de l’art & essai. Un premier cycle de réflexions débutera au mois de juillet à l’invitation du CNC. L’échéance ayant été fixée à la fin de l’année pour tenir compte des préconisations de Bruno Lasserre dans le dispositif du classement art & essai, il ne faut pas s’attendre à de grands bouleversements, mais au mieux à quelques aménagements du dispositif actuel. Le GNCR maintiendra néanmoins sa ligne et militera pour que certains ajustements lui soient apportés autant pour assurer une meilleure équité entre les salles que pour mieux valoriser les classements et les labels. Il est, en effet, indispensable que la subvention reste incitative et récompense le travail des exploitant.es, à défaut d’obtenir la suppression définitive du principe de l’écrêtement. A l’appel à l’organisation d’états généraux du cinéma lancé de longue date par la filière indépendante face à une certaine tendance à la rentabilité à tout prix et à une marchandisation de la culture, le gouvernement et ses représentants ont longtemps fait la sourde oreille, se réfugiant derrière les concertations en cours avec les différentes organisations professionnelles et l’attente des conclusions du rapport Lasserre que lui avait commandé M. Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et Mme Rima Abdul Malak, ministre de la Culture. Une forme de négation et d’invisibilisation sur le long terme qui pouvait faire craindre que ne s’épuisent et ne se lassent les frondeurs, la tenue des états généraux reposant surtout sur la capacité du collectif qui s’est créé autour de cet appel à maintenir la pression et à les organiser. Mais, depuis quelques jours, le collectif s’est réactivé et s’apprête à publier une tribune. C’est que la dernière édition du Festival de Cannes, via les déclarations de Justine Triet, a retenti d’une préoccupation qui alarme les professionnels du cinéma depuis des années : la fragilisation de notre exception culturelle. Même si celle-ci ne semble pas être remise en cause dans les rapports successifs, on ne peut que continuer à s’inquiéter de la propagation de certaines opinions que pourrait résumer cette déclaration récente du Président de la Commission des Affaires Économiques de l’Assemblée Nationale : « Il est temps d’arrêter de distribuer autant d’aides à ceux qui n’ont aucune conscience de ce qu’ils coûtent aux contribuables. » Sinon volontairement mensongères, au moins ignorantes du fonctionnement de notre système et rarement démenties, ce genre de déclarations favorise une théorisation dangereuse éloignée de l’expérimentation : le cinéma n’étant financé que par des subventions, il serait souhaitable que son système de financement soit plus équilibré et plus vertueux avec, une réduction substantielle de ses dispositifs de soutien. Cela constituerait évidemment une menace considérable pour le cinéma d’auteur et la filière indépendante, et, plus largement, une remise en cause de l’exception culturelle en matière cinématographique. Il y a quelques jours, Emmanuel Macron a tenu une promesse de campagne et annoncé la tenue en septembre prochain des « Etats généraux du droit à l’information », alors que le secteur des médias est agité par la crise au JDD et l’emprise croissante de Vincent Bolloré. Concentration des médias, indépendance des rédactions, désinformation à l’heure de ChatGPT, liberté de la presse… Autant de thématiques cruciales qui seront sans aucun doute au cœur des débats de ces états généraux et on ne peut que se féliciter de cette initiative. On ne peut cependant que regretter que les enjeux et préoccupations qui nous concernent ne soient pas parallèlement considérés à leur juste mesure. D’autant qu’à la tête du comité de pilotage de ces états généraux du droit à l’information, on retrouve un certain Bruno Lasserre. Dans ce qui ressemble à un pied de nez fait à nos professions ? Avant de faire trêve du passé et vous laisser vous plonger dans votre saison estivale, nous souhaitions, comme nous l’avons eue à notre Assemblée Générale de La Rochelle, avoir ici une pensée toute particulière pour Barbara Landreau et la remercier pour l’investissement qu’elle a consacré à notre association pendant plus de trente ans. L’arrivée d’un nouvel administrateur – Hervé Ladreyt – qui prendra ses fonctions en septembre, complètera l’équipe et lui permettra de mieux s’armer pour accompagner les salles du réseau dans les défis qui les attendent et d’apporter un nouveau souffle à nos actions d’accompagnement des films et des salles. En attendant, bel été à toutes et à tous ! Gautier Labrusse Président du Groupement National des Cinémas de Recherche |